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Il n’y a pas de Ajar (jusqu'au 28 décembre)
le 11/12/2024
au
théâtre de la Concorde, 1-3 avenue Gabriel 75008 Paris (du mercredi au samedi à 20h30, dimanche à 15h, relâche les 15, 16, 23 et 25/12)
Mise en scène de Arnaud Aldigé et Johanna Nizard avec Johanna Nizard écrit par Delphine Horvilleur
Grace à Emile Ajar, son double littéraire fictif, Romain Gary est le seul écrivain français à avoir été couronné deux fois par le prix Goncourt, c’était en 1975. D’un avatar à l’autre, dans son récit récemment paru, Delphine Horvilleur nous présente Abraham Ajar, fils fictif, sorte d’Ermite qui depuis sa cave déroule une longue digression prétexte au déroulement d’une pensée drolatique et parfois iconoclaste. Comme Romain Gary avait créée Ajar, Delphine Horvilleur met ainsi au monde Abraham Ajar. Il sera son porte-parole. Sous la houlette conjuguée et bienveillante d’Arnaud Aldigé, le metteur en scène et Johanna Nizard, la metteuse en scène et comédienne, à la manœuvre dans ce « seule en scène, Il n’y a pas de Ajar est devenu un spectacle. Dans le noir, une voix nous parvient ainsi, déformée par l’écho d’une cave, une voix rauque, gouailleuse « Je suis le fils de la falsification littéraire », annonce ainsi ce drôle de jeune homme au visage aiguisé qui apparait peu à peu dans la pénombre, portant moustache post adolescente et look vieillot. C’est le fils d’Emile Ajar. Mais rapidement, prénom oblige – on ne s’appelle pas impunément Abraham- le propos se fait plus philosophique. Il faut dire que ce drôle de bonhomme a de grandes ambitions : « moi, je suis le fils de tous les pères, dont on n’est pas sûr qu’ils aient existé ». Et bientôt surgit la notion d’identité, logique pour celui qui dit ne pas exister : « cette saloperie, l’identité comme ils l’appellent tous » ; « je suis pour polluer toutes les identités » grince ainsi Abraham continuant son discours désabusé. La religion, juive, celle de Gary, celle d’Abraham Ajar, celle de l’auteure, ne tarde pas à intervenir non plus, et le propos se fait rigolard « [de Dieu] il ne faut jamais prononcer son nom, d’abord parce qu’il n’existe pas, et ensuite parce qu’il risque de se pointer si tu prononces son nom » et encore « [Dieu] s’est surpassé au 20ème siècle dans sa non-intervention ». L’humour, noir n’est pas absent du spectacle, quitte à provoquer de petits remous dans le public : « un bon traumatisme, ça s’imprime sur plusieurs générations. Mais s’il n’y avait pas eu la Shoah, on n’aurait jamais pu le savoir. On doit tant à l’Allemagne ». Fasciné, troublé, emporté, le spectateur l’est tout autant par la pensée claire et vigoureuse de Delphine Horvilleur que par le jeu totalement incarné de la comédienne. Tantôt grinçante, parfois grandiloquente, Johanna Nizard déploie ici toutes les facette de son talent. Parfois avec excès, mais on lui pardonne volontiers. Se dévêtissant de ses oripeaux d’homme, Johanna Nizard se transforme, apparaissant ainsi successivement dans une nudité symbolique puis sous la forme d’une sorte de geisha emprisonnée dans son corps. Le message est clair, lumineux et ne peut qu’emporter l’adhésion : « il faudrait sortir de la binarité ». « Avant, on rencontrait des gens qui étaient plein de choses à la fois, mais c’est fini, chacun n’est plus qu’une chose à la fois » Pour ceux qui ne connaitraient pas Delphine Horvilleur, l’auteure, on peut juste préciser que cette ex-journaliste, venue sur le tard au rabbinat, incarne une pensée libre. Et ce spectacle lui ressemble, elle qui, à côté de la Pâque juive et chrétienne, voulait instaurer la fête de « pas que », et qui revendique la liberté de n’être « pas que » juif, « pas que » musulman ou chrétien, « pas qu’» homme et femme. « Il n’y a pas que Ajar » est un spectacle revigorant. Il offre une pensée décorsetée. On est pas mal secoué mais ça fait un bien fou. Eric Dotter
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