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Hedwig and the angry inch (jusqu’au 4 janvier 2025)
le 03/12/2024
au
sein de la Scala Paris, 13 boulevard de Strasbourg 75010 Paris (jours variables selon les semaines)
Mise en scène de Dominique Guillo avec Brice Hillairet, Anthéa Chauvière, Louis Buisset, Antonin Holub, Raphaël Sanchez et Lucie Wendremaire écrit par John Cameron Mitchell
Dés le début, le spectateur est prévenu : avec son fort accent, l’un des membres du groupe nous prévient que « le spectacle, il fait le bruit, beaucoup le bruit, mais il fait aussi l’émotion ». C’est vrai qu’à voir les cinq membres du groupe « Hedwig and the angry inch », on imagine qu’ils en ont sous le pied… Et dés les premières minutes, ça se confirme. Mélange de punks et de rockers, maquillage outranciers et tenues idoines, la basse, batterie, guitare et le choriste accueillent la star dans un déluge de décibels. Oui, la star, car c’en est une, c’est elle, Hedwig, perruque outrancière, chaussures dorées, bas résille, micro short et bustier en jean. Déployant sa cape comme un plumage de paon aux couleurs de l’arc en ciel, elle s’impose avec force : « je suis le nouveau mur de Berlin, et vous pouvez toujours essayer de m’abattre ». C’est en effet en Allemagne de l’Est que nait Hansel Schmitt, et plus précisément en 1961, date à laquelle la ville fut coupée en deux par le « mur de la honte ». Pour fuir son pays honni, il se fera opérer et deviendra Hedwig. C’est à un récit tout autant qu’à un concert auquel on assiste. Et l’on est troublé dès le début par cette mise en abymes. Tout au long d’un spectacle dynamité, Hedwig, chanteuse transgenre, va ainsi nous livrer son histoire, celle d’«[un] petit garçon un peu girlie de Berlin devenu une faiseuse de tubes totalement ignorée ». Pas de pathos, ni de misérabilisme, et de militantisme encore moins. Les armes de Hedwig ? L’humour, l’autodérision et le talent. Pendant près d’une heure quarante, les chansons alternent avec l’histoire. Rocks sur fond de guitare et basse survitaminées, ballades, chansons country auxquelles ne manquent pas un Stetson, la programmation musicale ne laisse pas de répit aux oreilles saturées de sons mais flattées par une orchestration toujours juste et inventive. Le spectateur accompagne donc Hedwig dans toutes ses galères ; sa fuite de Berlin ; sa rencontre avec Luther, un soldat américain qui lui proposera d’aller à l’Ouest et la quittera ; ses amours avec le très jeune Tommy qui la laissera tomber parce qu’elle n’est pas une femme. A aucun moment, le spectateur n’est laissé de côté. Ainsi, si les chansons sont toutes en anglais, un surtitre français joyeux et joliment illustré les accompagne. Même si quelques moments de mauvais gout viennent illustrer le spectacle, illustrant le coté provoc de certains aspects de la culture queer, l’énergie et le talent nous transportent. Si toute la troupe de 5 musiciens déploie un talent fou, force est de constater que l’interprète de Hedwig emporte l’enthousiasme. Loin de la caricature de la drag-queen, qui commence à être usée, Brice Hillairet interprète l’héroïne du spectacle avec nuance et sensibilité, permettant au spectateur de s’identifier. Il offre sa conviction et son engagement vocal et total à un public médusé par cette forme inédite de spectacle, mi-concert, mi show. La scène queer est en pleine émergence en ce moment dans les salles parisiennes. Souvent provocante et froufroutante, elle a parfois le souffle court lorsqu’il s’agit de s’adresser à un large public et de tenir un propos universel. Mais « Hedwig and the angry inch » a ce talent-là, de susciter l’universel en évoquant le particulier, de montrer l’essence derrière les apparences. Et quand ça se fait à force de décibels et de talent, on dit « Bravo ! ».
Eric Dotter
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