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Ni chaines ni maîtres

Sortie  le  18/09/2024  

De Simon Montaïrou avec Ibrahima Mbaye, Camille Cottin, Anna Diakhere Thiandoum, Benoît Magimel, Félix Lefebvre, Vassili Schneider et Lancelot Courcieras


1759. Isle de France (actuelle île Maurice). Massamba et Mati, esclaves dans la plantation d’Eugène Larcenet, vivent dans la peur et le labeur. Lui rêve que sa fille soit affranchie, elle de quitter l’enfer vert de la canne à sucre. Une nuit, elle s’enfuit. Madame La Victoire, célèbre chasseuse d’esclaves, est engagée pour la traquer. Massamba n’a d’autre choix que de s’évader à son tour. Par cet acte, il devient un « marron », un fugitif qui rompt à jamais avec l’ordre colonial.

Ce n’est pas la première fois que le cinéma français s’empare du sujet sur l’esclavagisme et la traite négrière mais cela reste un sujet encore très frileux, voire tabou chez nous. Exceptés Rue Cases-Nègres en 1983 et Case départ sorti lui en 2011, il n’y a pas eu d’autres productions sur ce thème depuis longtemps. A croire que les américains sont bien plus prolifiques que nous sur ce chapitre alors que nous avons autant notre part de responsabilité. Quoi qu’il en soit, le réalisateur et scénariste franco-béninois Simon Montaïrou – on lui doit les scripts de Le vilain, L’assaut, Braqueurs, Jamais de la vie et surtout Boîte noire, nommé au César 2021 du meilleur scénario original – s’est lancé comme un grand dans une première mise en scène qui joue à fond la carte du contemplatif et du spiritisme.
Outre les paysages naturels aussi sauvages que colorés, filmés avec beaucoup d’aisance et d’élégance, il est question certes des sévices et tortures infligés, mais également de rituels fétichistes, d’incantations hallucinées, d’invocations d’esprits et de voix off, celui de l’épouse et mère décédée des 2 protagonistes principaux (le sénégalais Ibrahima Mbaye dans le rôle du père, et Anna Diakhere Thiandoum dans celui de sa fille). La tension est palpable à presque chaque plan, d’autant que la fuite est plutôt mouvementée, Camille Couttin à leurs trousses et dans un registre de « méchante » - en tant que chasseuse d’esclaves - qu’on ne lui connaissait pas (encore). Quant à Benoît Magimel, il continue à porter l’habit d’époque, ici d’un faussement gentil, après celui d’antan et tout en douceur qu’il arborait dans La passion de Dodin Bouffant, sorti l’année dernière.
Si le cadre du lieu, certes sombre et hostile mais, malgré tout, idyllique, limite zen par moment, fait presque rêvé (« même sous terre, c’est notre île, pas la vôtre ! », dixit le « chien de blancs » qu’est au départ le personnage principal masculin, celui du papa protecteur), il ne faut pas oublier la manière dont était traité ces individus dans des conditions parfois insupportables – ici, une exploitation de canne à sucre. Néanmoins, le côté un peu (trop) statique et magique de certains passages extrêmement stylisés – quelques-uns nous font d’ailleurs penser à des œuvres d’art – casse parfois le rythme captivant, haletant et intense de cette poursuite oppressante autour de la survie, teintée de mysticisme. Une première œuvre dramatique puissante et inspirée qui parle d’authenticité, de bravoure, de dignité, de fierté et de quête de liberté avec aucun parti pris ni pathos d’aucune sorte. A voir…

C.LB



 
 
 
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