en 
 
 
cinema

 
 

Le mage du Kremlin (jusqu’au 3 novembre)

le  07/09/2024   au théâtre La Scala Paris, boulevard de Strasbourg 75010 Paris (du mercredi au samedi à 21h et dimanche à 17h)

Mise en scène de Roland Auzet avec Philippe Girard, Hervé Pierre, Stanislas Roquette, Irène Ranson Terestchenko, Karina Beuthe Orr, Claire Sermonne, Andranic Manet et la voix de Jean Alibert écrit par Roland Auzet (librement adapté du roman de Giuliano da Empoli)




Dés l’entrée dans la grande salle de la Scala, le spectateur est averti par un grand écran lumineux ; certes les personnages sont fictionnels mais « il s’agit d’une véritable histoire russe ». Cette histoire, « le mage du Kremlin », c’est une écrivaine helvético-italienne qui l’a d’abord écrite sous forme de roman ; le premier de sa plume qui obtint en 2022 le grand prix du roman de l’Académie française. 600 000 exemplaires vendus, et voici le roman adapté et mis en scène par Roland Auzet.
C’est la comédie du pouvoir qui se joue ici. Depuis Eltsine, le pantin alcoolique ridiculisé par les USA alors maitres du monde, jusqu’au glaçant Poutine, nous sommes plongés dans les sphères opaques du pouvoir russe. A la manœuvre, Vadim Baranov, la clé du roman. Désormais retiré des affaires, il raconte à un journaliste occidental comment lui, l’homme de l’ombre, est devenu de Raspoutine de Poutine, contribuant à faire de ce timide et cynique fonctionnaire des services secrets russes, le nouveau « tsar », transformant ce « blondinet décoloré » qui disait « qu’est ce qui te fait croire que ce chef, c’est moi ? », en une « Greta Garbo » énigmatique.
Cerné de miroirs, les personnages de cette comédie historique évoluent dans la froideur glacée de cette postmodernité capitalistique débridée qui marqua la fin du communisme : « en 10 ans, la Russie a connu toutes les révolutions ». Mais c’était avant Poutine : « chez nous, les marchands n’ont jamais été capable de diriger la Russie », constate Baranov qui mit Poutine au pouvoir. Succédant à la décadence du capitalisme qui prend la place laissée par la vacance du pouvoir postcommuniste, le héros arrive, créé de toutes pièces par Baranov. Il offre aux russes la « mythologie » qu’ils attendaient. « La Russie ne sera jamais un pays comme les autres », affirme Baranov, parlant presque à la place d’un Poutine qui n’offre pas grand-chose qu’un regard glacé et quelques sentences lapidaires, condamnant l’un ou l’autre de ces lèvres pincées.
Poutine est le sujet à peine visible de cette comédie racontée au passé. Et c’est là peut être la principale faiblesse de cette mise en scène : confronté à une histoire multiple, celle de Baranov, conseiller de l’ombre, celle du même Baranov amoureux de l’énigmatique et exigeante Ksénia, et enfin celle de Baranov analysant avec acuité l’histoire contemporaine du pouvoir en Russie, il fait se confronter tous ces récits n’évitant pas un certain chaos. Le texte d’origine du « Mage du Kremlin » étant fort riche et fort bien écrit, Roland Auzet, à la manœuvre dans l’adaptation du roman et dans la mise en scène, n’a pas pu résister à la tentation de puiser dans l’ouvrage nombre de phrases fortes, ce qui donne parfois le sentiment d’un catalogue de bons mots.
Malgré les défauts de ce spectacle, combinés à sa jeunesse (nous y étions à la première), on reste séduit par l’atmosphère qui se dégage du spectacle, combinaison entre l’énergie de la troupe des comédiens, une scénographie faisant la part belle à la culture russe, langue incluse. Les protagonistes parlent et chantent ainsi parfois en version originale (sur-titrée). Une bande son dramatique à souhait vient souligner l’ensemble. On ne sort pas de la Scala en admirant le dictateur russe, loin de là. Difficile en effet d’adhérer au culte de la violence qu’il incarne. Mais force est de reconnaitre qu’avec « Le mage du Kremlin », on est en immersion dans le mythe de la « Grande Russie ».

Eric Dotter



 
 
 
                                                      cinema - theatre - musique