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La double inconstance
le 21/09/2024
au
Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris (du mardi au samedi à 19h et dimanche à 16h)
Mise en scène de Jean-Paul Tribout avec Baptiste Bordet, Marilyne Fontaine, Emma Gamet, Agathe Quelquejay Thomas Sagols, Xavier Simonin et Jean-Paul Tribout écrit par Marivaux
Le fait du prince s’il y avait une expression pour désigner les faits à l’origine de la « double inconstance », ce serait celle-là. Séduit par Sylvia, une belle paysanne, le prince la fait enlever. Non seulement, il l’arrache à l’affection de son Arlequin chéri mais en plus il la séquestre en son palais, sûr qu’il est de son pouvoir de séduction et de persuasion. Mettant en branle tous les ressorts de la manipulation, envoyant son acolyte de plaisir Flaminia, et sa sœur, Lisette, il tentera une double séduction, jetant Arlequin dans les bras de sa maitresse et récupérant la tant convoitée Sylvia. Le stratagème réussira-t-il ? On laissera aux soins des sectateurs novices en marivaudages théâtraux le soin de le découvrir. Enlevée contre son gré, soumise de force, on serait tentés de relire cette comédie à l’aune du seul féminisme, mais ce serait manquer la dimension sociale que Marivaux cache sous un texte tout en volutes élégantes et en formules que l’on peut trouver surannées. C’est en effet un prince qui soumet une paysanne, c’est un prince qui fait ployer le modeste Arlequin. Et c’est sous le regard de la Cour que se joue la comédie, ou la tragédie, selon que l’on se place du point de vue des spectateurs ou du duo de protagonistes principaux. Jean-Paul Tribout, le metteur en scène, choisit ici une lecture littérale du texte : pas une redingote ne manque et les robes des comédiennes sont pigeonnantes à souhait. Dans cette troupe de très honnêtes artisans du théâtre, qui mettent en valeur la belle langue de Marivaux, trois émergent particulièrement, on les mentionne ici sans ordre hiérarchique. Emma Gamet occupe parfaitement « l’emploi », comme l’on dit dans le théâtre classique. Elle campe une Sylvia parfaite avec juste ce qu’il faut de candeur et de révolte alternées. Pour les rôles d’Arlequin et de Lisette, la recommandation est délicate car il s’agit de comédiens qui jouent en alternance. Le soir de notre venue, c’était Agathe Quelquejay qui jouait un Lisette faussement naïve, presque vaudevillesque, et fort plaisante à voir jouer. Quant à Arlequin, il prenait les traits de Thomas Sagols ce même soir : s’il n’a pas le physique de jeune premier (Le prince y pourvoit largement), il convainc par sa bonhommie et par la simplicité avec laquelle il fait lui aussi sonner le texte marivaudien. Il est dans la langue de Marivaux de bien étranges formules qui paraissent aujourd’hui datées : on s’« afriaude de quelqu’un », on ne « veut qu’être fâché ». C’est tout le talent des comédiens d’user d’un parfait naturel pour nous persuader que cette langue-là est une langue vivante, et on se laisse aisément convaincre. Un modeste conseil ; emmenez-y vos ados, ils ricaneront peut-être au début en entendant cette langue qu’ils jugeront surement antique, mais ils seront ensuite sensibles à la musicalité des mots du XVIIIème siècle.
Eric Dotter
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