|
- expo : « Modigliani / Zadkine. Une amitié interrompue » au musée Zadkine (jusqu'au 30 mars 2025)
le 14/11/2024
au
musée Zadkine, 100 bis, rue d’Assas 75006 Paris (ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h)
Mise en scène de Thierry Dufrêne, professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université Paris Nanterre et Anne-Cécile Moheng, attachée de conservation au musée Zadkine avec des tableaux, des sculptures, des dessins... écrit par ou plutôt proposé par Cécilie Champy-Vinas, conservatrice en chef du patrimoine, directrice du musée Zadkine
Après l’exposition dédiée à Chana Orloff, le musée Zadkine continue d’explorer les liens artistiques tissés par Zadkine au cours de sa vie. Cette exposition est la première à s’intéresser à une amitié artistique jamais explorée jusqu’alors, celle qui unit le sculpteur Ossip Zadkine au peintre Amedeo Modigliani.
À travers près de 90 œuvres, peintures, dessins, sculptures mais également documents et photographies d’époque, elle propose de suivre les parcours croisés de Modigliani et Zadkine, dans le contexte mouvementé et fécond du Montparnasse des années 1910 à 1920. Bénéficiant de prêts exceptionnels de grandes institutions - le Centre Pompidou, le musée de l’Orangerie, les musées de Milan, Rouen et Dijon - ainsi que de prêteurs privés, le parcours fait se confronter, comme au temps de leurs débuts artistiques, deux artistes majeurs des avant-gardes, et permet de renouer les fils d’une amitié interrompue.
Ossip Zadkine rencontre Amedeo Modigliani en 1913 : les deux artistes, fraîchement débarqués à Paris, rêvent chacun de devenir sculpteurs et partagent alors le « temps des vaches maigres » comme l’écrira Zadkine dans ses souvenirs. Cette amitié, aussi brève que féconde sur le plan artistique, est interrompue par la Première Guerre mondiale. Modigliani abandonne la sculpture pour la peinture, sur le conseil de marchands. Zadkine s’engage comme brancardier en 1915, avant d’être gazé et d’entamer une longue convalescence. Les deux artistes se retrouvent brièvement au sortir de la guerre, avant que leurs voies ne divergent à nouveau. Modigliani connaît un succès croissant avec ses peintures, mais il meurt prématurément à 35 ans, en 1920, tandis que Zadkine entame une longue et fructueuse carrière de sculpteur. Zadkine n’oubliera pas Modigliani et conservera précieusement le portrait fait par son ancien camarade, dont la gloire posthume ne fait que croître, à tel point que « Modi » devient l’une des figures mythiques de l’art moderne.
L’exposition fait dialoguer, pour la première fois, les œuvres de Modigliani et de Zadkine, mettant en évidence leur parenté d’inspiration mais également leurs divergences. Le parcours retrace, en cinq sections, les étapes d’une amitié d’exception, depuis les débuts parisiens des deux artistes jusqu’à la mort de Modigliani en janvier 1920. Il met en avant les cercles de sociabilité communs des deux artistes à Montparnasse, ainsi que le rôle pris par Zadkine dans l’édification posthume du mythe Modigliani. La dernière section interroge le rapport des deux artistes à l’architecture et offre une évocation spectaculaire du projet de temple à l’Humanité, rêvé par Modigliani.
-Le parcours de l'exposition : *1ère partie : LES DÉBUTS À PARIS Pratiquement contemporains, Modigliani, né en 1884 à Livourne, et Zadkine, né en 1888 à Vitebsk, sont arrivés à Paris l’un après l’autre, Modigliani début 1906 et Zadkine fin 1910. Avant 1910, le Livournais peignait à la manière d’Henri de Toulouse-Lautrec. En 1909-1910, il se mit à sculpter en taille directe des têtes archaïsantes qu’il exposa au Salon d’automne de 1912. Ce sont des têtes très stylisées, allongées ou ovoïdes dans l’esprit de Brancusi qu’il avait rencontré en 1909. Il emprunte à l’art africain, à l’Égypte et à la sculpture khmère. Zadkine se fait connaître par des sculptures qu’il qualifie lui-même de « primitives » lors de ses premières participations aux salons. Dans l’esprit de Zadkine, « archaïsme » veut dire un retour aux formes et à l’esprit des arts égyptien ou grec qu’il a découverts au cours de sa période anglaise au British Museum, mais aussi de l’art asiatique, de la sculpture romane et des sculpteurs africains et océaniens. Il est marqué par le style de Modigliani dont il fait la connaissance en 1913 et réalise des têtes et des figures humaines caractérisées par l’idéalisation et la frontalité des formes. Une expressivité singulière et son sens des matériaux distinguent cependant le sculpteur d’origine russe. Peu avant la Première Guerre mondiale, les deux artistes évoluent vers le cubisme sous l’influence de rencontres, notamment celle avec Picasso qui habitait alors rue Schoelcher à Montparnasse. Mais leur personnalité artistique déjà bien affirmée reste irréductible à ce que Zadkine appelle le « monachisme cubiste ».
*2ème partie : L’AMITIÉ INTERROMPUE En 1914, la Première Guerre mondiale met fi n à la période de fraternité artistique et d’insouciance que Zadkine et Modigliani ont partagée. Quoique étrangers tous les deux, ils tentent de s’engager dans l’armée française, mais seul Zadkine y parvient, son ami étant réformé à cause de sa santé fragile. Envoyé en Champagne, Zadkine est victime d’une attaque au gaz et réformé en 1917. De retour à Paris, il retrouve Modigliani, mais ce dernier a renoncé à la sculpture. Rattrapé par la « dame spéculation », selon les mots de Zadkine, il est en passe de devenir un peintre célèbre, soutenu par les marchands Paul Guillaume puis Léopold Zborowski qui l’encouragent à peindre des portraits et des nus. En 1918, les deux artistes quittent Paris : Modigliani part dans le sud de la France avec sa compagne Jeanne Hébuterne ; Zadkine se réfugie dans le Quercy. Ce n’est qu’au printemps 1919 qu’ils se recroisent à Paris, mais leur complicité d’autrefois n’est plus. Lorsque Modigliani meurt, le 24 janvier 1920, Zadkine ne participe pas aux funérailles, organisées par une poignée d’amis. Il vient alors de rencontrer Valentine Prax, sa future femme, et sa carrière prend enfin son envol : il suit sa voie sans renoncer à l’idéal d’une sculpture nouvelle que Modigliani a fini par abandonner. Si certaines de ses sculptures portent encore la marque du cubisme, il s’en éloigne bientôt, empruntant la voie ouverte par Modigliani, dont l’infl uence se lit en particulier dans ses dessins.
*3ème partie : À MONTPARNASSE, LES AFFINITÉS ÉLECTIVES Zadkine comme Modigliani appartiennent au monde des « Montparnos », ces artistes et intellectuels qui firent de Montparnasse leur terre d’élection. Dès les années 1910, Montparnasse est en effet près de détrôner Montmartre comme centre artistique de la capitale. Modigliani, qui s’installe d’abord à Montmartre, découvre Montparnasse en 1909 lorsqu’il travaille à la Cité Falguière, près de Brancusi. De son côté, Zadkine s’installe à Montparnasse dès son arrivée à Paris et reste sa vie durant fidèle au quartier. À l’époque de son amitié avec Modigliani, le sculpteur vit rue Rousselet dans le VIe arrondissement, mais il fréquente assidûment le carrefour Vavin et ses célèbres cafés, le Dôme et la Rotonde, où il retrouve Modigliani. Les personnalités que fréquentèrent en commun Modigliani et Zadkine, tels les poètes et écrivains Max Jacob et André Salmon, mais aussi le peintre Chaïm Soutine et la sculptrice Chana Orloff, sont évoqués grâce à des photographies et des portraits. Tous exécutés par Modigliani – qui avait pour habitude de dessiner ses amis à la terrasse des cafés - ils illustrent magnifiquement l’effervescence artistique qui régnait alors.
*4ème partie : LE MYTHE MODIGLIANI Après la mort prématurée de Modigliani en 1920, se constitue rapidement une légende autour du peintre, alimentée par sa réputation sulfureuse. Le succès posthume du « prince de Montparnasse » ne fait que croître, soutenu par l’engouement du marché de l’art pour ses peintures. Revers de la célébrité, les œuvres de Modigliani, extrêmement recherchées, suscitent également une production de faux dont certains sont diffi ciles à démasquer. Les anciens compagnons de bohème du peintre, dont fait partie Zadkine, assistent à la « revanche du mort » pour reprendre les mots du journaliste Francis Carco en 1920. Le peintre qu’ils ont connu pauvre et méconnu devient après son décès l’un des artistes mythiques de l’art moderne. Dans ce contexte, Zadkine est amené à plusieurs reprises à évoquer Modigliani et ce dès les années 1930. Le sculpteur a manifestement gardé toute sa vie un intérêt particulier pour son ancien camarade qu’il décrit dans ses Mémoires comme un « authentique bourgeon montparnassien qui n’a pas duré longtemps ». Au côté de photographies et d’archives, pour certaines inédites, sont rassemblés ici des œuvres évoquant le mythe Modigliani. Des extraits d’archives fi lmées permettent d’entendre les voix de Zadkine et Cendrars évoquant le Modigliani qu’ils ont connu dans leur jeunesse.
*5ème partie : UN TEMPLE POUR L’HUMANITÉ La relation de la sculpture à l’architecture passionne Modigliani et Zadkine. Au Salon d’automne de 1912, Amedeo Modigliani présente un « ensemble décoratif » de sept têtes sculptées qu’il dispose lui-même dans l’espace. Dans son esprit, il s’agit des prémisses du projet de « temple en l’honneur de l’Humanité » dont il a parlé à son marchand Paul Guillaume. En 1912, le sculpteur britannique Jacob Epstein, qui travaille au monument d’Oscar Wilde au cimetière du Père-Lachaise, rapporte avoir vu son ami placer des bougies la nuit sur les têtes sculptées de son atelier de la cité Falguière, rituel qui transformait le tout en une sorte de « temple primitif ». Modigliani rejoint les rêves de sculpteurs-architectes comme Henri Gaudier-Brzeska, Jacob Epstein, Eric Gill, Paul Landowski ou Constantin Brancusi. Il imagine des centaines de cariatides sculptées formant autant de « colonnes de tendresse* » ! Il n’en réalisa que deux. En revanche, il en dessine et en peint d’admirables qui évoquent le Cambodge ou l’Inde des danses rituelles. Quant à Zadkine, s’il taille volontiers des cariatides en bois, voyant plutôt leur groupement comme une forêt, cela ne l’empêche pas, dès avant son voyage en Grèce en 1931, de penser, comme son ami Modi, au rythme et au décor de l’architecture pour mettre en scène ses sculptures. Splendeur classique pour l’un, sens dramatique pour l’autre si l’on considère par exemple sa sculpture L’Esprit de l’Antiquité (1927) qui a servi d’inspiration pour la scénographie de cette salle.
|