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Nos années parallèles (jusqu’au 6 janvier 2025)
le 18/11/2024
au
théâtre des Mathurins, 36 rue des Mathurins 75008 Paris (lundi à 20h30)
Mise en scène de Virginie Lemoine avec Alexandre Faitrouni et Valérie Zaccomer (+ Stéphane Corbin au piano) écrit par Stéphane Corbin
« Mourir l’été, c’est anachronique, mourir jeune, c’est anachronique ». Légèreté, émotion et élégance, cette réplique pose d’emblée le style et le thème de la pièce présentée actuellement dans la petite salle du théâtre des Mathurins. D’un côté du plateau, une femme, sereinement posée sur un canapé. Grande jupe confortable, grosses lunettes, elle lit, calme, tranquille. De l’autre côté, un jeune homme, vif et dynamique, l’œil pétillant, le sourire accroché aux lèvres, il nous raconte son parcours de vie. Elle se met à parler et déroule son récit, parallèle à celui du jeune homme. Ils ne dialoguent pas de prime abord, chacun parle de l’autre mais bientôt, les récits se rejoignent et le dialogue s’instaure, entre mère et fils. Si l’un est bien vivant, l’autre est bel et bien morte. Et c’est ce fil renoué entre un jeune garçon qui se découvre homosexuel et sa mère tellement bienveillante qui sert d’intrigue émotionnelle au spectacle. « Tu as l’air bien, presque apaisé ce matin, presque… ». Et le récit rembobine le temps, le temps d’avant ce fichu cancer. Le lien est fort, très fort entre mère et fils mais il n’exclut pas un père et un frère, figures esquissées en filigrane. Le cancer se déclare, certes mais pas question de s’apitoyer, la mère ne veut « pas de pitié, pas de peur, pas de compassion ». Ce qu’elle veut, c’est « une équipe restreinte au minimum, ton père, ton frère et toi », dit-elle à son fils. Parfois, le dialogue glisse vers la chanson. Car « nos années parallèles », c’est l’œuvre d’un musicien, Stéphane Corbin. Installé sur scène au piano, il ponctue parfois le récit de ses douces mélodies. Et ce musicien-là, on le scrute d’un œil d’autant plus attentif que l’on a été prévenu, c’est son histoire qu’il raconte là. Souvent éclairé avec douceur, son sourire est le témoin ému du récit qu’interprètent devant nous la formidable Valérie Zaccomer et le touchant Alexandre Faitrouni. Si la comédienne impose d’emblée sa présence magnétique, il faut un peu plus de temps au jeune comédien incarnant le fils pour réussir à convaincre le public. Touché par tant de sincérité et d’émotion, sans jamais se sentir pris en otage par un tire-larmes, le critique ronchon par nature cherche la recette de ce spectacle réussi : pas besoin d’aller loin, c’est dans les mots de Virginie Lemoine, la metteuse en scène, qu’il la trouve lorsqu’elle parle de Stéphane Corbin : « si notre sensibilité artistique commune a été une évidence, c’est bien notre histoire personnelle qui nous relie, celle d’une mère partie trop tôt… ». Parce que nous avons toutes et tous une mère, parce qu’au fond de chacun et chacune d’entre nous, il y a un enfant pétri de la terreur de perdre ses parents, « nos années parallèles » touche le spectateur droit au cœur. Et par la grâce d’excellents comédiens parfaitement mis en valeur et d’un texte soigné et sincère, cette histoire personnelle touche à l’universel.
Eric Dotter
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