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Judith Magre dit Baudelaire (jusqu’au 27 janvier)

le  09/12/2024   au théâtre de Poche-Montparnasse, 75 boulevard du Montparnasse 75006 Paris (tous les lundis à 19h)

Mise en scène de Thierry Harcourt avec Judith Magre écrit par Charles Baudelaire




De prime abord, il parait difficile de considérer la prestation de Judith Magre comme n’importe quel spectacle. Alors, on s’y rend comme lorsque l’on vient rendre hommage à une légende vivante. Pensez-donc, Judith Magre nous est présentée comme « la doyenne des actrices de notre répertoire ». On entre donc dans la grande salle du Poche Montparnasse avec respect et déférence pour voir jouer la comédienne au regard félin et au verbe tranchant.
Judith Magre y lit Baudelaire. Assise dans son fauteuil, ample robe noire et médaillon doré, elle trône devant le pupitre sur lequel s’empilent en feuilles volantes les 19 poèmes qu’elle va dire. A côté d’elle, son acolyte, Olivier Barrot, remplacé le soir de notre venue par le metteur en scène Thierry Harcourt. Regard attentif et bienveillant, il est attablé à un guéridon. L’une égrène les poèmes, et l’autre déroule la biographie, et parce que le spectacle assume la désuétude de sa forme, de lourds drapés ferment le fond de scène. « J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans » : la première phrase de « spleen » le poème choisi à titre d’introduction n’est pas anodin et la vénérable actrice la dit presque dans un souffle.
On s’en veut parfois d’accrocher en passant des phrases lourdes de sens. Mais l’on sourit aussi lorsque l’actrice peste quand elle bute sur un mot. Bientôt cependant, le miracle se produit, et l’énergie revient à la surface du corps fatigué, l’oeil se fait vif et aux aguets, et le spectateur se sent transpercé par l’iris félin de la dame sur scène. Poèmes et biographie alternent et parfois la comédienne s’y perd mais ça ‘n’est pas grave, se dit le spectateur, l’oeil embué d’admiration et le souffle suspendu aux vers dits par Judith Magre.
A la faveur du récit, on apprend ainsi que les deux contemporains que sont Flaubert et Baudelaire sont tous deux confrontés aux accusations en immoralité du même procureur, un certain Ernest Pinard. L’un a osé écrire Madame Bovary et l’autre a commis l’infamie d’être l’auteur des fleurs du mal. On est également surpris de constater que les contemporains de Baudelaire s’appelaient
Courbet, Manet et Ingres, et en dehors de sa traduction des écrits de Poe faisant encore référence aujourd’hui, on ne connaissait pas le poète comme découvreur de talents tel que celui de Wagner, qui ne plaisait guère en France.
A l’issue de ce court spectacle (moins d’une heure), on sait que tout jugement critique serait inutile et que ce que l’on est venu voir ici est de l’ordre de l’évènement. On oublie donc les flottements et l’on retient la couleur de cet œil vif, si vif, d’une comédienne qui débuta sur les planches en 1950. Et à ceux qui poseraient la question trop souvent entendue, « mais quel âge peut-elle donc avoir ? », on répondra que peu importe puisqu’elle a encore l’âge de reprendre avec force ces mots de Baudelaire, « enivrez-vous !! »

Eric Dotter



 
 
 
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