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La vie rêvée (jusqu’au 15 février)
le 04/02/2025
au
théâtre Les Plateaux Sauvages, 5 rue des Plâtrières 75020 Paris (du lundi au vendredi à 19h et samedi à 16h30)
Mise en scène de Kelly Rivière avec Kelly Rivière écrit par Kelly Rivière
Sur la vaste scène des plateaux sauvages, elle est là, sous le feu des projecteurs, esquissant des pas, ceinturée de son tutu, cernée par un rond de plumes, et les applaudissements retentissent. Reprenant les mots de la regrettée actrice Annie Girardot, qui a fait les belles heures du cinéma des années 1970, la danseuse amorce son discours : « Je ne sais pas si je vous ai manqué à la danse, mais à moi, la danse a manqué follement… éperdument… douloureusement ». Rapidement, le spectateur comprend que l’on est ici dans le rêve de cette femme dans la quarantaine, Kelly Ruisseau, double théâtrale de Kelly Rivière, un rêve de danse. Un rêve qui n’aboutira jamais parce que « on est sur un cou de pied en fer à repasser, un cuisseau un peu charnu et un tendon très tendu », comme le dit peu élégamment son prof de danse à ses parents alors qu’elle n’a que 13 ans. Donc, ce sera le théâtre, avec ses aléas, ses castings hasardeux, donnant l’occasion à une scène hilarante, les contrats dans des escape games pour entreprises aux employés dépressifs. La « vie rêvée » dans le projet de sa conceptrice et interprète, c’est ça : montrer l’écart entre la vie réelle et la vie idéalisée. Au gré des situations et de sa vie, Kelly Rivière fait ainsi défiler une galerie de personnages. Les scènes se déroulent ainsi avec une logique dramaturgique pertinente et une fluidité absolue. On est loin d’une logique de sketchs enchainés, On est en présence d’un véritable texte de théâtre à plusieurs personnages mais pour une seule comédienne. On voit ainsi défiler la mère de Kelly, d’origine anglaise, dont le soutien à la carrière artistique de sa fille est pour le moins léger : « Tu as 45 ans, maybe it’s over. [D’ailleurs] je ne vois pas l’intérêt de jouer quelqu’un d’autre ». Du côté de son fils, pas mieux, lorsque sa mère revient à nouveau bredouille d’un casting, l’amour filial se fait morsure : « moi, je fais de la natation, dit-il, si je ramenais jamais de coupe à la maison, je crois que j’arrêterais ». Seul son père est conciliant et aimant, mais taiseux devant son épouse autoritaire et versée dans l’autocontrôle absolu. Mais c’est du côté de sa grand-mère paternelle que vient le soutien. C’est d’ailleurs à elle, Mamie Nana comme elle la surnomme, que Kelly Ruisseau-Rivière rend hommage, un hommage plein et entier, une succession de tableaux où on la verra mamie aimante, grand-mère inquiète puis vieille femme en proie à la sénilité. Kelly Rivière joue tous les rôles : elle les fait dialoguer sans qu’à aucun moment cela ne paraisse artificiel. D’ailleurs, on en oublie intentionnellement d’autres, pour ne citer ici que les principaux personnages. Et lorsque Kelly Rivière décide d’en mettre quatre dans une voiture, sa mère, son père, son frère et elle petite fille, la performance se fait poésie, et le récit de la « pie voleuse » de Rossini se fait lyrique et magique. Tour à tour comique et émouvant, chanté ou dansé, « la vie rêvée » propose un voyage intime à travers sa généalogie, périple dans lequel chacune et chacun reconnaitra une figure connue de près ou de loin. A l’issue de ce fort joli spectacle, on s’en remémore un extrait : « le théâtre m’a sauvée. Je peux dire des choses que je ne peux pas dire dans la vie réelle ». Ce qui est certain, c’est que le récit qu’elle nous fait là, 2ème volet après « An irish story » d’une saga familiale, va au-delà du simple récit de la destinée d’une danseuse frustrée de son art et désormais comédienne reconnue. Il touche chacune et chacun de nous en employant le subtil alliage du sourire et de l’émotion.
Eric Dotter
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