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Le funambule (jusqu’au 20 mars)

le  01/03/2025   au théâtre de La Ville – Les Abbesses, 31 rue des Abbesses 75018 Paris (du mardi au samedi à 20h et dimanche à 15h)

Mise en scène de Philippe Torreton avec Philippe Torreton, Boris Boublil et Julien Posada écrit par Jean Genet




Un décor de cirque dans l’obscurité. Rien de très glorieux ni pompeux avec ça et là des accessoires épars, des éléments de décors stockés au hasard, et au milieu, tendu, désacralisé par quelques vêtements à sécher qui y sont accrochés : le fil. Pas n’importe quel fil, un fil de 7 mm, sur lequel l’artiste, le funambule doit bientôt prendre place. C’est en effet à cet artiste de l’équilibre que ce long poème de Jean Genet rend hommage.
Dans le rôle de l’auteur, initiateur et comédien quasi unique de ce spectacle, Philippe Torreton. Surgissant de l’obscurité, voix posée, silhouette massive, cheveux courts du poète, le comédien introduit le spectacle en présentant le support et fidèle compagnon du funambule : « le fil était mort. Maintenant te voici, il va vivre ».
Avant même de nous présenter l’artiste, le poème de Genet rend en effet hommage à cet objet apparemment inanimé. Au fil touché, révéré, répondent bientôt les cordes d’une guitare. Nimbé de la lumière désormais revenue sur la piste, les nappes d’une bande son composée et jouée en direct par Boris Boublil. Mais bientôt apparait l’artiste, arraché avec difficulté du lourd sommeil dans lequel l’avait apparemment plongé l’alcool. Après un corps à corps avec son fil, il finit par grimper en hésitant d’abord puis en s’affirmant peu à peu. Le poète le suit à la trace, le touchant presque mais gardant la distance de l’entomologiste pour son sujet. « La mort précédera ton apparition ». « Tu dois risquer une mort physique, la dramaturgie du cirque l’exige ».
Loin d’être amoureux, le discours est tranché, Dieu n’est jamais très loin et la chute, la mort menacent. Une mort sans gloire : « si tu chutes, tu auras la plus conventionnelle des oraisons. Tu ne dois rien attendre d’autre, le cirque est très conventionnel ». C’est à un vrai funambule que Genet dédit ce poème : fin de l’année 1956, l’auteur rencontre en effet un jeune garçon de piste, acrobate amateur. Il s’appelle Abdallah Bentaga; il n’a que 18 ans, et Genet 46, et ils s‘aiment. Jean Genet le prendra sous son aile, et mettra les moyens pour en faire un grand funambule. Ils se sépareront en 1962. Et malgré une blessure grave dont le funambule ne se remettra jamais, Genet le soutiendra jusqu’au suicide du jeune homme.
On comprend donc toute la noirceur dont le texte est empreint. Sous la flamboyance se cache la mort mais sur la piste, la misère apparente se métamorphose en poussière d’or. Philippe Torreton pouvait difficilement jouer ce texte en ne faisant qu’évoquer le funambule. Il est donc accompagné d’un artiste du fil (Lucas Bergandi le soir de notre venue). Et parce que c’est le corps qui est en question, le corps martyrisé, sublimé, souffrant, il est montré dans sa (quasi) nudité, dans la fragilité de son art, ne nous épargnant pas la position du spectateur de cirque : « un public qui ferme les yeux quand tu frôleras la mort ».
Parfois stellaire, la poésie de Genet conquiert le spectateur. Première oblige, la gestuelle du comédien est encore trop démonstrative, appuyant parfois inutilement le propos. On peut certes émettre une réserve quant au décor un peu pesant et encombré mais l’ensemble poésie/funambulisme/ musique fonctionne de manière harmonieuse gommant parfois la rudesse du poète vis-à-vis de son modèle.

Eric Dotter



 
 
 
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