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Vernon Subutex (jusqu’au 31 octobre)
le 08/10/2025
au
théâtre de Belleville, 16 passage Piver 75011 Paris (du mercredi au samedi à 21h15)
Mise en scène de Elya Birman et Clémentine Niewdanski avec Elya Birman, Jean-Christophe Laurier, Nolwenn Le Du, Pauline Méreuze, Clémentine Niewdanski et Vincent Hulot à la musique écrit par Virginie Despentes
Adapter, c’est choisir, mais comment choisir sans trahir ? La question a sûrement travaillé Elya Birman et Clémentine Niewdanski, lorsqu’ils ont décidé il y a deux ans d’adapter les deux premiers tomes du Vernon Subutex de Virginie Despentes. Parmi les multiples pistes qui s’offraient à eux dans le foisonnement de l’autrice, ils en ont choisi une à laquelle ils se tiennent. Dans le « Vernon Subutex », actuellement présenté au Théâtre de Belleville, on suit ainsi la destinée de Vernon qui de disquaire à SDF passera du microsillon à la misère. Emacié mais charismatique, Vernon tient une boutique de disques, le Vinyle est roi et son commerce voit passer toutes sortes de clients et de visiteurs, dont l’artiste Alex Bleach. Entre la star du rock et celui qui fait commerce de 33 et 45 tours, le courant passe tellement bien qu’Alex devient le soutien financier d’un Vernon toujours sur la brèche. L’époque est faste et le rock est la religion, Vernon, qui a désormais 45 ans, en parle avec son indécrochable sourire mais avec nostalgie : « ce qu’on voulait, c’était ce son, ça nous déracinait, ça nous décollait ». Il évoque ainsi une époque, celle de sa jeunesse et de ses rêves sans limites : « quand j’avais 16 ans, personne ne pouvait me faire croire que je n’étais pas là où je devais être » Mais Alex disparait noyé dans une « collaboration entre champagne et médocs », et avec lui l’espoir pour Vernon d’une fragile stabilité financière. Le Vinyl aussi disparait lui aussi, chassé par le CD, et avec lui l’échoppe de Vernon. La pente est raide et Vernon la glisse à toute vitesse : un loyer non payé et le voilà à la rue. Toujours souriant sous son casque de cheveux gris, toujours digne sous sa dégaine de rocker, Vernon, désormais SDF, croisera les fantômes de son passé, essentiellement d’anciennes maîtresses, chez qui il tentera de loger plus ou moins longtemps, mais aussi, Xavier, son ami de toujours. Malgré l’angle choisi, l’adaptation évite-t-elle la trahison ? Absolument car les deux adaptatrice et adaptateur qui sont aussi metteurs en scène et deux des comédiens parmi les 5 sur scène (plus un musicien) ont choisi de mettre en relief la langue, la belle langue de Virginie Despentes. Certes, ca parle fort, ça parle « rock » et la plume de l’autrice n’hésite pas à appeler un chat un chat, même quand il est au féminin, mais c’est au service d’un propos politique fort : La chute de Vernon, c’est aussi l’émergence d’un capitalisme débridé et dérégulé qui vient heurter de plein fouet l’artisanat du rock qu’il transformera bien vite en industrie, sortant les utopistes du riff du monde clos dans lequel ils vivaient. En parallèle à la destinée de Vernon, Elya Birman et Clémentine Newdanski ont choisi de suivre celle de cassettes vidéo (et oui, nous sommes dans les années 80 !) sur lesquelles Alex l’ancien rocker avait décidé de se filmer, en train de déverser son fiel sur les requins de l’industrie du rock. Intrigue secondaire, elle n’est là que pour rappeler en creux les méfaits du capitalisme dans l’industrie de la musique mais donne aussi l’occasion de brosser certains tableaux pittoresques des personnages du roman de Despentes . On découvre ici La Hyène, enquêtrice privée, Vodka Satana, ex-actrice porno mais aussi Kiko, le cynique trader, et bien d’autres encore. Autour de la silhouette hâve de Jean-Christophe Laurier qui donne vie et offre sa présence presque magnétique à Vernon Subutex, flegmatique en toutes circonstances, Elles sont deux, deux comédiennes, outre les deux adaptateurs-metteurs en scène, à tourner autour de Vernon comme autant de fantômes du passé idyllique et comme autant de figures repoussantes du présent. Laurent, son compagnon de rue, Sylvie, la mère secourable de son ancien ami, Xavier, l’ami de toujours… Autour de la figure fixe de Vernon, héros décadent, ils sont autant de silhouettes incarnées successivement par Nolwenn Le Du et Pauline Méreuze. Et le rock dans tout ça ? Il est bien entendu présent sous les doigts et les baguettes du batteur-guitariste Vincent Hulot qui est également l’auteur de la création musicale, et qui disperse au fil de la pièce ses petites touches. Alors, oui, on peut le répéter, cette adaptation de « Vernon Subutex » n’est pas une trahison, au contraire, elle rend hommage comme jamais à la poésie de la marge qu’illustre formidablement la plume de Virginie Despentes
Eric Dotter
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