L’éclipse (jusqu’au 5 décembre)

le  26/11/2025   au théâtre Paris Villette, 211 avenue Jean Jaurès 75019 Paris (du mardi au samedi à 20h sauf le vendredi à 19h et dimanche à 15h30)

Mise en scène de Leslie Bernard et Matthias Jacquin avec Julien Derivaz, Alicia Devidal (en alternance avec Leslie Bernard), Douglas Grauwels, Mathias Labelle, Hector Manuel, Asja Nadjar et Adèle Zouane écrit par le Collectif Bajour (Leslie Bernard et Matthias Jacquin)



C’est avec une adresse au public que tout commence. Une jeune fille y décrit son stress avant un examen. L’enjeu est important, et on le comprendra ensuite : elle passe le concours d’entrée au collège en horaires aménagés musique/danse. Tableau suivant : Mallorie, Farah, Anne-Charlotte, Gürt, Solal, Mériadec, Romain. Ils/elles sont sept à se retrouver, - la 3ème V au grand complet - vingt ans après, sept à revenir dans la cour de ce collège de Baume-Les- Messieurs, en plein Jura où ils ont tous ensemble suivi la même scolarité, mélangeant musique/danse et enseignement classique.
Mais voici bientôt que les adultes laissent la place aux professeurs, et puis aux élèves : nous sommes revenus en 1998 : on retrouve la jeune fille du début de la pièce, et c’est la rentrée des jeunes ados qui se préparent pour certaines et certains à une carrière de danseur. Le décor reste le même, immuable cour et salle de cour, alternativement extérieure et intérieure, un peu délabrées, vitres à petits carreaux, marquise et hauts parleurs. Seuls quelques accessoires, chaises, tables et bancs, sont déplacés, ménageant une transition douce d’une génération à l’autre.
Les acteurs aussi (tous jouent successivement les ados, les adultes et les professeurs) changent d’allure, imperceptiblement : ici, des cheveux attachés ou relâchés, là une veste au lieu d’un jogging. Mais ce qui change radicalement, c’est le jeu : le corps de l’adulte assis dans son âge laisse la place au corps de l’adolescent timide ou révolté, hésitant, encombré de sa carcasse ou la maitrisant tout à fait : la mécanique du corps dicte son tempo. Un corps des premiers émois, du premier « smack », mais un corps aussi que l’on tente de maitriser sous la férule du très exigeant professeur de danse nouvellement arrivé dans l’établissement.
L’adolescence, c’est le sismographe des émotions, le règne des sentiments, la détermination des sensibilités, c’est aussi l’âge des premiers chagrins et parfois des drames qui détruisent toute une vie. Il y a ainsi Gürt et Solal, des amis qui sentent en eux monter un sentiment qui les dépasse, Solal que l’on sent vibrer sous le désir d’avoir enfin ce solo dont il rêve au spectacle de fin d’année. Il y aussi Mallorie, Farah et Anne-Charlotte, qui forment un trio indestructible, mais qu’un drame survenu au collège finira par séparer.
Le collectif Bajour, mené pour cette « Eclipse » par Leslie Bernard et Matthias Jacquin à la mise en scène, propose ici de suivre les destins entrecroisés de ces sept jeunes collégiens. Le propos pourrait être anecdotique mais il va à l’essentiel grâce à un jeu incroyablement précis et un texte qui concilie exigence dramaturgique et sensibilité à fleur de peau. En puisant dans leur vécu, les membres du collectif ont su saisir tout ce qui fait la construction de cette période si délicate dans une vie, toutes les expressions qui révèlent des tourments extérieurs.
On a tous été collégien, et les nombreux jeunes qui étaient dans la salle le soir de notre venue l’étaient encore. L’éclipse réussit sans nostalgie aucune à réunir toutes les générations devant un spectacle maîtrisé et passionnant, grave et drôle. Sentiments et narration, allant crescendo, se tiennent ici la main pour un moment de bonheur théâtral dans lequel chacun trouve son compte.
A l’applaudimètre en fin de représentation, les ados, sûrement trainés par leur prof au spectacle, n’étaient pas les derniers. Alors, si vous en avez à la maison, n’hésitez pas à les emmener voir ce miroir légèrement décalé de leurs tourments intérieurs, ils vous en seront finalement reconnaissants !

Eric Dotter