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Au coin de la rue, la Boulangerie : A la rencontre de Nadia Boulanger (jusqu’au 23 janvier 2026)

le  03/12/2025   au théâtre Essaïon, 6 rue Pierre au Lard 75004 Paris (mercredi à 20h50 jusqu’au 21/01 et vendredi à 18h30 jusqu’au 23/01 sauf les 24 et 31/12)

Mise en scène de Michel Dodane avec Véronique Soufflet et Philippe Tarabay écrit par Véronique Soufflet




Quincy Jones, Michel Legrand, Astor Piazzolla, Lalo Schifrin ; ce ne sont que quelques-uns de ceux qui, des années durant, rendirent visite à cette petite dame un peu sévère dans son appartement du 9ème arrondissement de Paris. Nadia Boulanger, car c’est là son nom, a ainsi vu passer derrière son piano ce que la musique moderne, la variété ou la musique de films a compté de plus grands noms. C’est à cette incroyable pédagogue que le musicologue, réalisateur et écrivain Bruno Monsaingeon, s’est intéressé. Pendant 5 ans, il a rencontré cette dame à l’allure bourgeoise et en a tiré un livre, « Mademoiselle », dont Véronique Soufflet présente pour la deuxième année consécutive une adaptation passionnante.
Lunettes cachant mal son début de cécité, jupe droite stricte, chemise blanche fermée par un camée, chaussures plates, cheveux gris rassemblés : c’est dans son intérieur révélé progressivement par un judicieux éclairage que nous découvrons la pianiste, organiste et surtout pédagogue Nadia Boulanger. Presque timidement, l’interviewer débarque chez la dame un peu rétive : « je n’aime pas beaucoup que l’on saucissonne ma pensée », jette-elle ainsi, avant de se laisser faire par un interlocuteur savant et admiratif. Nous sommes en 1972, la dame est déjà âgée mais son cerveau tourne à plein régime, plein de cette musique qui la remplira jusqu’à son dernier souffle.
Pour Nadia Boulanger, c’est la liberté de l’élève musicien qui compte avant tout : « je le laisse dire ce qu’il a à dire… libérer son moi intérieur ». Sans fausse modestie, avec passion et fermeté, la musicienne précise sa pédagogie, notamment lors de la première rencontre avec un élève : « C’est moi qui prends la leçon, je ne le connais pas encore…tant que je ne sais pas ce que tu [l’élève] veux, tu n’existes pas musicalement ». On effleure à peine la vie familiale de « Mademoiselle » Boulanger, une famille où la musique est au centre : un père compositeur certes, mais il y a surtout sa mère, musicienne amatrice mais « véritable artiste ». A son sujet, elle ajoute ainsi : « j’ai été élevée par une mère invraisemblablement intelligente, elle était mon guide ».
Et bien sûr, il y a sa sœur, Lili Boulanger, disparue à l’âge de 24 ans après avoir obtenu à 16 ans le grand prix de Rome. C’est donc en creux que se dessine le portrait d’une femme brillante qui ne vécut que par et pour la musique sans jamais se mettre elle en avant. Une femme qui estimait que la musique qu’elle avait écrite elle-même était « inutile » mais qui trouvait que « Bach est un assez bon compagnon de voyage ». Véronique Soufflet, la comédienne, à l’initiative de l’adaptation du livre de Bruno Monsaingeon, livre ici un spectacle exigeant mais très accessible sous peu que l’on s’intéresse à la musique. De Nadia Boulanger, elle a adapté les traits et la diction, désuète et dynamique, parfois autoritaire. La comédienne fait exister et tient jusqu’au bout son personnage, auquel on croit dés les premières minutes : aux dires de ceux qui ont connu Nadia Boulanger, c’est saisissant.
Loin d’un duo convenu entre un admirateur éclairé (Philippe Tabaray) et une grande artiste, « au coin de la rue, la boulangerie, à la découverte de Nadia Boulanger » offre un passionnant moment d’intimité avec une grande dame de la musique. Et surtout, l’écueil d’un recueil de bons mots a été évité. La dame n’était pas avare de formules lapidaires mais elles s’inscrivent ici dans une continuité dramaturgique cohérente qu’agrémentent les témoignages de ses élèves devenus célèbres (le compositeur Michel Legrand, le petit prodige devenu pianiste Emile Naoumoff) et des pages musicales choisies.
C’est passionnant, instructif et parfaitement réjouissant. Dans une fidélité absolue à l’ouvrage d’origine, et donc aux propos de Nadia Boulanger, Véronique Soufflet a su trouver sa voie avec ce spectacle. Laissez-vous donc porter en vous rendant au Théâtre Essaïon.

Eric Dotter



 
 
 
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