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Billie Holiday, une affaire d’état

Sortie  le  02/06/2021  

De Lee Daniels avec Andra Day, Trevante Rhodes, Garrett Hedlund, Tyler James Williams, Da’vine Joy Randolph et Miss Lawrence


“Southern trees bear a strange fruit, Blood on the leaves and blood at the root” (Les arbres du Sud portent un étrange fruit, Du sang sur leurs feuilles et du sang sur leurs racines)
Billie Holiday est sans conteste l’une des plus fascinantes icônes du jazz, mais derrière sa voix légendaire, se cache une femme dont le combat acharné pour la justice a fait d’elle la cible du plus puissant des pouvoirs…
En 1939, Billie Holiday est déjà une vedette du jazz new-yorkais quand elle entonne « Strange Fruit », un vibrant réquisitoire contre le racisme qui se démarque de son répertoire habituel. La chanson déchaîne aussitôt la controverse, et le gouvernement lui intime de cesser de la chanter. Billie refuse. Elle devient dès lors une cible à abattre.
Billie Holiday a tout fait pour atténuer ses souffrances et oublier son enfance difficile, ses choix malheureux en matière d’hommes, et la difficulté de vivre en étant une femme de couleur en Amérique. La drogue fut l’une de ses échappatoires. Le gouvernement va retourner cette faiblesse contre elle et utiliser sa dépendance aux stupéfiants pour la faire tomber. Prêt à tout, Harry Anslinger, le chef du Bureau Fédéral des Narcotiques, charge Jimmy Fletcher, un agent de couleur, d’infiltrer les cercles dans lesquels évolue la chanteuse. Mais leur plan va rencontrer un obstacle majeur : Jimmy tombe amoureux de Billie…


Que doit-on ou, du moins, que faut-il retenir de ce film, biopic plus ou moins romancé autour de la dernière partie de la vie de Lady Day, l’une des voix les plus importantes du 20ème siècle, tout comme ce fut le cas pour celui récemment réalisé sur Judy Garland et intitulé simplement Judy ? Le fait qu’elle fut l’une des principales et plus influentes représentantes du jazz vocal – au même titre d’ailleurs qu’Ella Fitzgerald, Nina Simone et Sarah Vaughan ! - et c’est d’autant plus indéniablement flagrant, notamment à l’écoute des nombreuses chansons interprétées ici ? Le fait qu’elle aimait voire abusait un tant soit peu de stupéfiants en tout genre, d’où plusieurs affaires judiciaires à la clé et états d’arrestation à son encontre, sans oublier pas mal de problèmes de voix comme de mémoire vers la fin de son existence, entre autres pour cause d’usage intempestif pour ne pas dire intensif de narcotiques ? Ou bien le fait qu’elle fut entouré d’hommes – et même de quelques femmes – pour la plupart abusant d’elle, passant des uns aux autres tout en y revenant pour certain(e)s, et finalement ne sachant vraiment pas à qui se fier réellement ?
De ce côté-là, la réalité est respectée à travers ce scénario en forme d’« hommage ». Ce qui l’est un peu moins, c’est cette histoire d’agents fédéraux qui s’acharnaient à la traquer presque nuit et jour afin de la faire tomber coûte que coûte pour toxicomanie, soit en tant que camée notoire en possession de drogues illicites (il faut savoir que, par l’intermédiaire de ses relations, elle fut acquittée lors d’un procès, grâce notamment à l’intervention de J.Edgar Hoover, alors directeur du FBI), soit en interprétant Strange fruit, une chanson métaphorique prêtant à controverse qui soi-disant poussait à l’émeute en faisant la description lyrique, à la fois dérangeante, terrifiante et dénonciatrice, du lynchage de noirs aux arbres, bien en vigueur à cette époque (et semble-t-il toujours « accepté » aujourd’hui !). Ce qui est sûr, c’est que les passages « métaphysiques » dus à l’excès de cocaïne et de LSD donnent une vision onirique déformée et une sensation d’abandon total de cette légende au timbre suave et enroué, au vibrato troublant et discret, et aux éternels Gardénias dans les cheveux.
Néanmoins, on découvre le portrait émouvant d’une femme pleine de tempéraments et de faiblesses (jouée par la formidable chanteuse et bouleversante actrice Andra Day qui a reçu le Golden Globe de la meilleure actrice pour son incroyable prestation), apparemment « revenue de tout », mal vu dans les hautes « sphères » gouvernementales et engagé dans un combat inégal avec elles en luttant contre un racisme latent et persistant. Si ce long métrage très « honorable » de Lee Daniels (Precious ; Paperboy ; Le majordome) ressemble à une sorte de compilation/rétrospective de ses chansons ainsi que de sa carrière (d’où une BO de circonstance), à coups de titres aussi nonchalants qu’intimistes, de flash-back et de rares images d’archives, il en oublie de mentionner et de faire apparaître furtivement à l’écran tous les grands musiciens qui l’ont accompagné et qu’elle a côtoyé pendant cette période (seul « Louis Armstrong » est présent l’espace de 2 coups de trompette !).
Bref, une production certes plus romanesque que véritablement dramatique ou tragique, au budget un peu cheap (pratiquement aucun extérieur tourné, tout filmé en studio !), mais néanmoins passionnante, qui « swing » légèrement entre les déboires de la Lady, tout en permettant de restituer cet artiste iconique dans son contexte d’origine, celui d’un pays gangréné par un Maccarthisme omniprésent et par une ségrégation durable (toujours d’actualité malheureusement, en référence au mouvement " Black lives matter")….

C.LB



 
 
 
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