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Marie-Antoinette (sur Canal + Grand Ecran)

Sortie  le  14/09/2022  

De Sofia Coppola avec Kirsten Dunst, Jason Schwartzman, Marianne Faithfull, Steve Coogan, Rip Torn, Judy Davis, Asia Argento, Mathieu Amalric et Aurore Clément (sur Canal + Grand Ecran les 14, 16, 19 et 21/09)


Au sortir de l’adolescence, une jeune fille découvre un monde hostile et codifié, un univers frivole où chacun observe et juge l’autre sans aménité. Mariée à un homme maladroit qui la délaisse, elle est rapidement lassée par les devoirs de représentation qu’on lui impose. Elle s’évade dans l’ivresse de la fête et les plaisirs des sens pour réinventer un monde à elle. Y a-t-il un prix à payer à rechercher le bonheur que certains vous refusent ?

A lire ainsi ce synopsis qui paraît tout à fait d’actualité, on pourrait croire aisément que son histoire se déroule de nos jours, tant ce résumé semble contemporain alors qu’il n’en est rien. En effet, il s’agit de l’existence et du règne pour la moins singulière et mouvementée, voire même dramatique, de Marie-Antoinette, une jeune autrichienne devenue la femme de Louis XVI et donc par la force des choses reine de France à la destinée pour le moins tragique. Pourtant, cette peinture d’une époque révolue, dépeinte ici avec pas mal de fastes fort ruineux, de décisions politiques maladroites et de débauches en tout genre, ressemble à s’y méprendre à celle de notre époque, avec son lot d’insouciance et de frivolité qui peut régner en pareille circonstance, surtout dans un monde où l’ambition et le tourment priment sur beaucoup d’autres valeurs et priorités.
C’est le cas de cette superproduction en costumes, interprétée en anglais moderne sur fond de musique rock’n’roll, pop et planante (entre 2 airs de classique, on a le droit à du New Order, Siouxie and the Banshees, Bow Wow Wow, Phoenix, Aphex Twin et The Cure), qui nous montre les affres et turpitudes d’une jeune fille déracinée et solitaire qui cherche sa place dans un monde de protocoles et de conventions qu’elle ne connaît pas et dans lequel elle va petit à petit se couler aisément. A bien y regarder de plus près, c’est en fait ici plus l’histoire d’une femme que celle de la France, on pourrait même dire plus une vérité humaine qu’une réalité historique.
La réalisatrice Sofia Coppola (The virgin suicides, Lost in translation) s’est amusée à traduire sa propre vision d’un 17ème siècle prérévolutionnaire, rehaussant au passage la modernité de son personnage principal auquel on pourrait facilement s’identifier avec des allusions et des anachronismes désinvoltes (la fameuse paire de baskets Converse entre 2 rangées d’escarpins !). Néanmoins, elle a veillé scrupuleusement à garder un certain réalisme notamment dans les décors, entre autre ceux du château de Versailles, et les costumes d’époque, des robes à corset plus flamboyantes et majestueuses les unes que les autres. A voir Marie-Antoinette déambuler ainsi dans le palais, entre les salons, couloirs et appartements, on pourrait facilement la prendre pour une « fashion victim », obligée de passer le temps à se divertir tant bien que mal et comme elle le peut pour oublier les turpitudes, coutumes, obligations de toute sorte et autres exigences royales, d’une cour certes forte élégante et chamarrée à souhait mais plutôt austère et à cheval sur bien des principes pour une jeune fille perdue. Bref, notre héroïne faussement ingénue se comporte telle une femme plus ou moins branchée qui fait du shopping, une espèce de star avant l’heure qui use de la frivolité comme d’une échappatoire et se drogue avec les moyens du bord, des pâtisseries de toute sorte aux plaisirs fugaces comme des fêtes somptueuses qui vident consciencieusement et comme il se doit les caisses de l’Etat déjà bien réduites.
Pour interpréter cette Marie-Antoinette romanesque et fantasque, aussi dépensière que gourmande, Sofia Coppola a fait appel à Kirsten Dnst (Spiderman 1 & 2, Rencontres à Elizabethtown) qu’elle avait déjà dirigé dans The virgin suicides. On peut dire qu’avec son élégance naturelle, sa blondeur fragile, son joli visage mutin, son petit air espiègle et ses expressions enfantines, elle exprime parfaitement et dignement les errances d’une jeune princesse totalement détachée de la réalité et à la recherche d’un peu d’amour dans un monde hostile (son mari, Louis XVI, ne l’ayant que très rarement « honoré », la délaissant pour des occupations manuelles dites de serrurier amateur !), qui s’est malheureusement pour elle trouvée au mauvais endroit au mauvais moment. Le sujet ici n’étant pas de nous montrer ce qui se passe à l’extérieur de la cour, nous ne verrons donc point de révolution (ou si peu), ni de procès et encore moins d’exécution. Loin pourtant d’être une martyre même si elle a été condamnée pour haute trahison, on ne peut manifestement pas s’apitoyer sur le sort de cet enfant gâté qui a poussé d’une manière ou d’une autre le peuple français miséreux à se rebeller.
Reconnaissons tout de même que cette approche plutôt originale, aussi audacieuse que personnelle, de la cour de Versailles est digne d’intérêt, nous permettant d’apprécier à la fois une mise en scène remarquable (tel un clip musical), un esthétique savoureux (voire même flashy), une photo irréprochable (merci au floue à la Helmut Newton !), ainsi qu’une narration crédible et maîtrisée (très librement d’ailleurs mais jamais précieuse ou trop sérieuse). On ne peut que remercier l’énorme talent et la grande maturité de Sofia Coppola qui nous offre ici autant de spectacle que de plaisir, réussissant à dépoussiérer et moderniser les images d’Epinal de Marie-Antoinette que l’on connaît à travers des romans et des films du style Si Versailles m’était conté…. Il est bien loin le temps où Michèle Morgan interprétait de manière traditionnelle une Marie-Antoinette au port de tête (encore) bien droit !

C.LB



 
 
 
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