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Les fantômes de Goya (sur Canal + Grand Ecran)

Sortie  le  11/09/2023  

De Milos Forman avec Natalie Portman, Javier Bardem, Stellan Skarsgard, Randy Quaid, José Luis Gomez et Michael Lonsdale


A la fin du 18ème siècle, alors que le royaume d’Espagne subit les derniers sursauts de l’Inquisition et que les guerres napoléoniennes bouleversent l’Europe, le frère Lorenzo, impitoyable inquisiteur, s’en prend à Inès, la muse du peintre Francisco Goya. Abusivement accusée d’hérésie, Inès se retrouve emprisonnée. Pour Goya, c’est le début d’une période qui changera sa vie et son œuvre à jamais….

Pour un film qui nomme le nom de l’un des plus grands peintres espagnols, on peut dire que le réalisateur s’est bel et bien emmêlé les pinceaux à plus d’un titre ! Milos Forman, dont la réputation d’excellent metteur en scène n’est (ou n’était) plus à faire (Vol au-dessus d’un nid de coucou, Hair, Ragtime, Amadeus, Valmont, Larry Flint), semble ici avoir complètement perdu la patte qui avait fait son succès précédemment. C’est à croire que, dépassé par ce projet épique, il n’a pas du tout su raconter cette histoire qui partait pourtant sous de bons hospices. Il avait un sujet conséquent avec comme co-scénariste le célèbre Jean-Claude Carrière qui n’en est pas à son premier script (jugez vous-même : Journal d’une femme de chambre, Belle de jour, Le charme discret de la bourgeoisie, Le fantôme – déjà ! – de la liberté, Cet obscur objet du désir, Milou en mai, Borsalino, La chair de l’orchidée, Le tambour, Danton, Les possédés, Cyrano de Bergerac, Le hussard sur le toit et Chinese box, pour ne citer que quelques-uns des plus connus !), une époque qu’il a déjà maintes fois dépeinte au cinéma (souvenez-vous d’Amadeus et de Valmont avec déjà le même scénariste cité ci-dessus !), un producteur indépendant reconnu depuis longtemps (Saul Zaentz à qui l’on doit justement Vol au-dessus d’un nid de coucou et Amadeus ainsi que Mosquito coast, L’insoutenable légèreté de l’être, et Le patient anglais), et un directeur de la photo très réputé en Espagne (Javier Aguirresarobe qui a éclairé Tierra, Les autres, Parle avec elle et Mar adentro).
Bref, avec tous ses éléments, qu’est-ce qui a bien pu cafouiller en route ? D’abord, le choix des comédiens et surtout celui de Javier Bardem (Talons aiguilles, Jambon jambon, Macho, La lune et le téton, En chair et en os, Avant la nuit, Dancer upstairs, Collateral, Mar adentro) qui n’est, mais alors, pas du tout dirigé dans ce film. Il n’est pas crédible ni charismatique une seconde dans la première partie, récitant son texte sans conviction, et dans la seconde, surjouant au maximum comme pour rattraper le retard perdu au début. Qu’il soit prêtre libidineux et ecclésiastique fanatique ou ministre révolutionnaire et agent à la solde des français, dans un cas comme dans l’autre, l’habit de fait pas le moine ! Natalie Portman (Heat, Beautiful girls, Tout le monde dit I love you, Mars attacks !, Star wars 1, 2 & 3, Retour à Cold Mountain, Entre adultes consentants, Free zone, V pour vendetta), pourtant douce, douée et exquise, et qui joue 2 rôles ici (la muse de Goya et sa propre fille une quinzaine d’années plus tard), n’arrive pas à être émouvante en pauvre fille emprisonnée sous l’Inquisition espagnole. Quand elle sort enfin de sa prison 16 ans après, c’est pour ressembler à une sorcière édentée et complètement folle. Quant à Stellan Skarsgard (L’insoutenable légèreté de l’être, A la poursuite d’Octobre rouge, Amistad, Will hunting, Ronin, Peur bleue, Time code, City of ghosts, Breaking the waves, Dogville, L’exorciste au commencement, Le roi Arthur, Pirates des Caraïbes 2), il interprète le peintre Goya (alors que le comédien est scandinave !) qui, devenu sourd avec le temps (avant d’être aveugle aussi !), doit avoir un traducteur à ses côtés pour qu’il comprenne ce qu’on lui dit. De plus, il n’a pas le temps de nous montrer ses œuvres, soit boudées par ses clients (notamment la reine d’Espagne), soit emportées pour être brûlées en place de Grève (le tableau de frère Lorenzo qui a bafoué l’église), soit parce que ce n’est pas le sujet du film.
En effet, notre peintre n’est pas le héros du film et sert uniquement de prétexte, autant de personnage fictif que de reporter graphique, à présenter l’Inquisition espagnole et les nombreux remous dus à l’invasion de ce pays par les troupes napoléoniennes dans cette partie de l’Europe, ainsi que le destin de quelques personnes avec, en toile de fond, la séquestration d’une jeune femme injustement accusée par un prêtre défroqué (c’est le cas de le dire !) et la recherche de sa fille après des années d’abandon dans un pays en pleine guerre.
Si vous aimez la peinture, dépêchez-vous, elle ne tient pas beaucoup de place, les rares tableaux étant très rapidement exposés tout au début et vers le milieu, dans le musée du Prado à Madrid ! Il faut bien attirer le spectateur avec un joli nom, alors on prend celui du fort respectable Francisco Goya et le tour est (presque) joué. Mais on est très loin du style La fille à la perle, sur la vie d’un autre grand peintre cette fois flamand, Wermer ! Non, c’est tout simplement notre homme qui est une sorte de lien et d’observateur entre les différentes périodes historiques de cette destinée aventureuse autour de 3 personnes, se déroulant sur une petite vingtaine d’années. Ce qui ne fonctionne pas non plus, c’est la mise en scène comme le montage du film, certes conséquents (1h54) mais mal fagotés, avec des prises de vues pompeuses et inutiles (l’imposant rassemblement de soldats napoléoniens qu’on ne voit que quelques secondes à l’écran !), et avec des dialogues d’une prétention évidente et d’une portée sans effet. On aurait aimé entendre un peu plus de textes travaillés et de réparties pertinentes que ces quelques élans de mots sans tenue ni prose. C’est à se demander si c’est bien Jean-Claude Carrière qui a écrit et qui est derrière tout cela !
Que reste-t-il pour sauver les meubles (du bûcher critique) ? Pas grand-chose, à part un Michael Lonsdale toujours égal à lui-même et à sa place ici dans la peau d’un grand inquisiteur pour le moins implacable, quelques belles reproductions de tableaux du maître Goya, une petite démonstration technique de la création de quelques gravures à l’eau-forte, et un choix aussi authentique qu’éclectique de costumes comme de lieux de tournage. En résumé, il n’y a pas d’histoire assez solide et parfaitement maîtrisée pour supporter toutes ces erreurs d’appréciation et de jugement, au point qu’on se pose la question de savoir si c’est bien l’illustre Milos Forman qui était derrière la caméra au moment du tournage et de la post-production ! Une approche aberrante et incompréhensible qui pourrait bien lui coûter cher lors de ses prochaines investigations artistiques et prospections financières….

C.LB



 
 
 
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