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There will be blood (sur Ciné + Premier)

Sortie  le  23/02/2023  

De Paul Thomas Anderson avec Daniel Day Lewis, Paul Dano, Kevin J.O’Connor, Ciaràn Hinds, Dillon Freasier et David Willis (les 23,25 et 27/02 + 01, 07 et 10/03)


Lorsque Daniel Plainview entend parler d’une petite ville de Californie où l’on dit qu’un océan de pétrole coulerait littéralement du sol, il décide d’aller tenter sa chance et part avec son fils, H.W., à Little Boston. Dans cet endroit perdu où chacun lutte pour survivre et où l’unique distraction est l’église animée par le charismatique prêtre Eli Sunday, Plainview et son fils voient le sort leur sourire. Même si le pétrole comble leurs attentes et fait leur fortune, plus rien ne sera comme avant : les tensions s’intensifient, les conflits éclatent et les valeurs humaines comme l’amour, l’espoir, le sens de la communauté, les croyances, l’ambition et même les liens entre père et fils sont mis en péril par la corruption, la trahison…et le pétrole.

Voilà une imposante saga cinématographique, à la fois dense, poignante et profonde, comme on en fait plus depuis un bon bout de temps, malheureusement ! Cette belle fresque d’époque, aussi magistrale et grandiose que mouvementée et dramatique, qui se déroule au tout début du 20ème siècle aux Etats-Unis, autour d’un père mineur élevant son fils seul en plein milieu d’une région inhospitalière mais gorgée de pétrole, a de quoi nous en imposer et nous tenir en haleine, même pendant plus de 2h30. On n’est pas très loin de l’esprit de J.R. dans la série Dallas comme de l’ambiance de Géant, autre grand monument du 7ème art avec James Dean et Elizabeth Taylor qui se déroulait dans le milieu de l’or noir mais à une époque un peu plus proche de la nôtre. D’ailleurs, le tournage de ce dernier s’était passé au même endroit que celui-ci, dans la petite ville de Marfa au Texas, tout comme dernièrement No country for old men des frères Coen. Cette conquête de l’Ouest épique, à la recherche d’abondants filons et de riches gisements pétrolifères en Californie, en a bien fait tourner des têtes, au point de rendre mauvais, corrompus, cupides, suspicieux, paranos et même meurtriers ceux qui achetaient des concessions et qui exploitaient des puits dans l’espoir de faire fortune et de devenir puissant.
Pour incarner ce pétrolier productif qui prospecte les déserts de cet Etat américain encore rural et qui érige ici et là des champs de pétrole sous forme de derricks et d’installations de forage, est interprété par le magnifique, le fabuleux, le fantastique et l’impressionnant Daniel Day-Lewis (My left foot, Au nom du père, The boxer, Le temps de l’innocence), acteur aux multiples facettes et sans doute l’un des plus remarquables comme des plus surdoués de sa génération. Avec sa moustache fournie (la même que celle qu’il arborait dans Gangs of New York !), il porte sur ses larges épaules ce vibrant hommage rendu aux pionniers de l’or noir (à ceux qui « ce sont saignés » comme le titre du film l’indique !), avec une virtuosité et un talent qui forcent le respect. Avec son regard de fou et pour le moins halluciné, ses airs de prospecteur avide et vicieux, à la fois intransigeant et implacable, il nous fait ici, comme à son habitude d’ailleurs, une véritable performance d’acteur et nous donne une magistrale leçon de cinéma, réussissant à en imposer à tout le monde, même aux autres participants. Bref, un acteur de sa trempe ne pouvait se contenter de moins, cela aurait été impossible, impardonnable et inévitable. Saluons donc au passage sa prestation hors pair d’une rare intensité ! Néanmoins, un seul osera refuser de se plier à ses exigences et réussira à lui tenir tête farouchement avant de s’incliner (c’est le cas de le dire !), Paul Dano (The girl next door, Le club des empereurs, Destins volés, Little miss sunshine) qui joue un magistral et charismatique prédicateur tendance fondamentaliste, à la fois évangéliste inquiétant et dangereux illuminé, plus proche du faux prophète que du véritable guérisseur, et qui va l’affronter un bon bout de temps en le sermonnant : il le poussera même à se convertir et à devenir un guide spirituel pour sa petite communauté dans sa paroisse, devenant ainsi une sorte de pêcheur repenti en quête de salut de son âme, avant de se venger de la manière la plus radicale qui soit. En effet, le pétrole ne fait pas que des heureux, bien au contraire, mais plutôt des concurrents envieux, jaloux, manipulateurs, ambitieux et paranoïaques, prêts à tout pour avoir eux aussi leur (grosse) part du gâteau. Mais le succès a un prix, souvent très cher, qui peut se solder par de l’amertume, de l’abandon, de la haine, de la rage, du délire et de la cruauté. Entre grandeur et décadence, voici le portrait acerbe d’un magnat assez effrayant, autant cupide que terrible, certes apportant quelques richesses et bienfaits aux rares habitants de cette contrée perdue au milieu de nulle part, mais bien décidé à rester le maître incontesté de son royaume prospère, complètement aveuglé par sa quête de réussite, au point de négliger ses proches comme son fils qu’il abandonnera avant de le désavouer, et d’écraser d’une main de fer tous ceux qui se dressent sur son chemin, évinçant ainsi jusqu’à éliminer purement et simplement ceux qui convoitent d’un peu trop près ses exploitations prolifiques.
Bref, plus dure et âpre sera la chute, source de fatalité, de chaos comme de doutes dans cette peinture sans concessions du rêve américain ! Merveilleusement filmé avec juste ce qu’il faut de dialogues nécessaires, d’actes justifiés, de musique oppressante (celle de Johnny Greenwood, guitariste de Radiohead) et de reconstitution utile (quelques baraquements en bois et de simples paysages sauvages à perte de vue), ce film passionnant et sombre à plus d’un titre dégage une atmosphère violente et lourde, ainsi qu’une tension palpable qui vont grandissantes, s’installant un peu plus chaque jour pour aller se loger jusque dans la peau des protagoniste, suintant par tous leurs pores déjà bien encombrés de pétrole. Voilà du grand cinéma comme on n’en avait pas vu depuis longtemps et qui mériterait de remporter quelques statuettes aux prochains Oscars. C’est bien là tout le mal qu’on peut souhaiter au génial réalisateur Paul Thomas Anderson, déjà responsable des très glorieux Boogie nights, Magnolia et Punch drunk love, et qui a adapté à la perfection Oil, le fameux roman d’Upton Sinclair, datant de 1927. Comme quoi, le nombre des années ne semble avoir aucune incidence sur la qualité comme l’actualité d’une telle histoire, cette fameuse obsession pour cette substance précieuse appelée or noir qu’a encore et toujours un grand nombre de personnes aujourd’hui !

C.LB



 
 
 
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