en 
 
 
cinema

 
 

Guérisseur (jusqu'au 14 avril)

le  28/02/2018   au théâtre Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris (du mardi au samedi à 19h)

Mise en scène de Benoît Lavigne avec Xavier Gallais ou Thomas Durand, Bérangère Gallot et Hervé Jouval écrit par Brian Friel




On ne voit d’abord que ses mains dessinées par un pinceau de lumière, puis le voici bientôt près, voire même très près de nous, spectateurs, lui le guérisseur qui donne son nom au titre de la pièce actuellement présentée au Lucernaire ! Silhouette massive et sarcasme aux lèvres, il soliloque sur sa vie minable de camelot, lui, le « Fantastique » Francis Hardy, guérisseur ce soir seulement comme l’indique le calicot qui le présente pompeusement. Il ironise sur ses tournées dans les villages reculés d’Ecosse et du Pays de Galles, sur son impresario, sa femme. Il raille sa vie passée, lui qui guérissait en imposant les mains. « De temps en temps ça marchait » précise-t-il. Il raille son impresario « il a cru jusqu’à la fin qu’il nous arriverait quelque chose de fantastique ». Il est encore plus cinglant pour celle qu’il qualifie de « maîtresse » pour ne pas l’appeler sa femme : « elle me faisait à manger ; [sa] vertu nous a recouvert d’une lourde chape de poussière… ».
Loin d’être une diatribe à la Thomas Bernhardt, le texte de Brian Friel, adapté en Français par Alain Delahaye, s’attarde sur l’humain, ses cassures et ses désillusions. On ne sait si le guérisseur, qui ne nous parle qu’au passé, est mort ou toujours bien vivant, mais après tout qu’importe. Le spectateur est subjugué par l’aura du personnage, le talent du comédien (Xavier Gallais le soir de notre venue), tellement mis en valeur par une mise en scène toute en finesse et des éclairages découpant les scènes comme des tableaux.
Bientôt, la vision du guérisseur fait place à celle de sa femme, Grace. Et c’est une tout autre version du récit que l’on découvre, un autre portrait de Frank- alias Francis- Hardy qu’elle dessine en creux, celui d’un homme qui « remodelait la vérité ». Grace est mince, presque fragile mais une étonnante force se dégage d’elle, de son regard notamment lorsqu’elle évoque un drame que le guérisseur n’a même pas pris soin de mentionner. C’est ensuite au tour de Teddy, l’impresario de prendre la parole. Truculent comme peut l’être celui qui a l’habitude de vendre des numéros aussi improbables que celui du « lévrier qui jouait de la cornemuse », il s’avère attachant, humain, le seul qui a su être aux côtés de Grace lors du « drame ». Familier des tournées « galères », Teddy suis inconditionnellement Frank, son poulain, révélant ses succès tout autant qu’il critique l’humain.
Aucun côté misérabiliste dans cette pièce créée à Dublin en 1979 et, même si à aucun moment les personnages ne se rencontrent sur scène, la figure centrale de Frank Hardy, le guérisseur, structure et irradie le récit. Lorsque Teddy intervient, on se dit que la pièce pourrait s’achever là. Aussi, lorsque le guérisseur réapparaît pour une ultime fois, on éprouve un léger sentiment de surcharge textuelle. Et c’est là le seul bémol que l’on apportera à l’issue de ce spectacle, qui montre l’incroyable richesse de certains « petits » théâtres privés qui donnent à voir du « grand » théâtre....

E.D



 
 
 
                                                      cinema - theatre - musique