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No bullshit (jusqu’au 14 décembre)

le  14/11/2019   au théâtre du Roi René, 12 rue Edouard Lockroy 75011 Paris (du jeudi au samedi à 20h)

Mise en scène de Rémi Mazuel avec Bérénice Boccara, Aurélien Boyer, Thierry Fohrer, Alain Péron, Johanne Ricard et Patricia Perrault écrit par Alain Péron




Charlotte est fraichement diplômée d’une école de commerce : allure stricte, lunettes, débit mitraillette à la fois précis et calibré. Elle a réponse à tout dans ce qui ressemble à une mise en accusation mais n’est en fait qu’un entretien d’embauche pour tenter de rallier SOPI, une multinationale leader sur le marché, objet de toute l’attention de jeunes diplômés. Une fois passée la « phase terminale », et le « crash-test » conclu positivement, la jeune Charlotte sera embauchée et pourra ainsi revêtir pour ne pas dire arborer le saint Graal, la « SOPI watch », prodige de la technologie orwellienne destinée à contrôler les moindres faits et gestes de son porteur.
C’est ainsi que commence « no bullshit », saga mettant en scène les intrigues ordinaires au sein d’une entreprise telle que nous la connaissons tous plus ou moins bien. Cette pièce aligne une belle galerie de personnages : il y a là Delphine, la DRAF sadique ; JP, le co-fondateur apparemment cool mais véritable intrigant ; et Joël (excellent Alain Péron, par ailleurs auteur de la pièce), 35 ans de maison, qui a réussi à survivre aux multiples purges des cadres dirigeants au travers des âges. On n’oubliera cependant ni Edouard, le jeune loup persuadé de son charme, ni Marie-Virginie, l’assistante intrigante. On est ici au niveau supérieur du management de l’entreprise. On joue l’entre-soi. Tout au plus les employés sont-ils évoqués lorsque l’on envisage de leur présenter un délirant concept d’espace de travail sans tables ni sièges… La stratégie d’entreprise croise et conforte l’intérêt de ses dirigeants.
No bullshit tape dans le mille : on peut d’ailleurs voir dans le titre un écho au récent ouvrage de David Graeber « bullshit jobs » (jobs à la con) qui décrivait des postes de travail sans but ni intérêt (c’est notamment l’objet d’un échange dans la pièce). Plutôt que de virer, chez SOPI, on préfère en effet affecter à un autre poste comme « responsable de la transformation des processus transverses » par exemple. « C’est un job ça ? » demande l’occupant pressenti du poste. « Non, mais c’est un salaire » lui répond-on.
Au-delà d’un monde du travail fantasmé ou imaginé par certains auteurs « hors sol », on est en prise avec un réel qui semble trouver écho auprès du public nombreux - plutôt trentenaire -, venu se masser dans ce drôle de petit théâtre en fond de cour d’un immeuble d’habitation. De stature et de jeu, l’auteur et comédien Alain Péron dépasse largement ses co-interprètes : il frôle parfois le talent d’un jean Yanne, silhouette apparemment fatiguée mais œil toujours aux aguets.
L’écriture est presque parfaite et la pièce comporte tous les ressorts d’une bonne comédie, y compris un rebondissement final. C’est cynique mais réaliste, caricatural juste ce qu’il faut pour attirer les sourires. A l’adresse de ceux qui conserveraient encore des illusions sur le monde de l’entreprise, citons les propos de l’un des dirigeants de SOPI au moment du départ « je m’en vais sans regretter le travail, sans vous regretter, j’ai beaucoup reçu, j’ai peu donné »....

E.D



 
 
 
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