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Une farouche liberté (jusqu’au 6 avril)

le  17/03/2023   au théâtre La Scala, 13 boulevard de Strasbourg 75010 Paris (mardi et mercredi à 19h30)

Mise en scène de Léna Paugam avec Ariane Ascaride et Philippine Pierre Brossolette écrit par Gisèle Halimi




Dans cette salle en amphithéâtre au sous-sol de la Scala, le bruissement de conversation du public nombreux cesse d’un coup lorsqu’elles apparaissent, venant du haut de la salle. Deux femmes pour un destin, deux comédiennes pour une avocate, Ariane Ascaride et Philippine Pierre Brossolette : il n’en fallait pas moins pour porter les mots de Gisèle Halimi. Dans le destin de l’avocate, c’est sa mère qui joue le rôle premier : « Tout ce que j’ai fait, c’est parce que ma mère ne m’aimait pas ». Il faut dire que chez les parents Halimi, Fritna et Edouard, « être femme était une malédiction ». La naissance d’une fille pouvait donc être considérée comme nulle et non avenue.
Nous sommes en 1927, en Tunisie, dans cette famille de juifs pauvres, et comme dans la société tout entière, la femme est l’esclave de l’homme : « c’est comme ça ». Mais la petite Gisèle se révolte vite contre le sort fait aux filles et aux femmes. Après une grève de la faim, elle décide à 10 ans qu’elle ne servira plus ses frères. C’est à 10 ans, également, qu’elle décide de ce qui sera sa carrière et son engagement quotidien : « je veux être avocate pour ME défendre ». Mais elle ira plus loin, envisageant de changer le monde, se battant pour que « la libération des femmes entraine aussi celle des hommes de la contrainte de la virilité ».
1949 : à force de travail, le rêve de petite fille devient réalité. Désormais en France, Gisèle endosse la robe noire d’avocate. Elle sera une avocate anxieuse, qui doute. Djamila Boupacha, Marie Claire Chevalier, lutte contre la torture d’état, lutte pour la libération de l’Algérie, lutte contre la criminalisation de l’IVG. : derrière chaque nom, derrière chaque procès, il y a un combat. Pour Gisèle, « la justice a toujours été [sa] raison d’être ».
Devant le public rassemblé – et pas seulement féminin -, la plaidoirie est poignante et le théâtre devient prétoire. Le texte n’aurait presque pas besoin de souligner l’engagement de l‘avocate qui disait s’identifier aux justiciables qu’elle défendait tant il est palpable. Lorsque les mots de Gisèle évoquent le viol, le spectateur se fige : « le viol est comme une mort inoculée un jour de violence », et encore : « le viol [est] comme un acte de fascisme ordinaire ». La femme de gauche transparait à toutes les phrases. Même si l’engagement en politique, aux côtés du PS en 1981, ne sera pas une réussite. Elue fraichement députée, elle tentera ainsi de faire passer en vain plusieurs projets de lois dont (déjà !) une loi concernant les quotas sur les listes présentées aux élections.
Au fil du récit réorganisé de manière chronologique, la parole entre les deux comédiennes circule avec naturel et sans correspondre nécessairement à une Gisèle jeune qui serait interprétée par Philippine Pierre Brossolette, et une plus mûre qui aurait les traits d’Ariane Ascaride. Il y a simplement deux Gisèle Halimi sur le plateau dont aucune ne cherche le mimétisme avec l’avocate. Libre au spectateur de composer « sa » Gisèle. Le dispositif est simple : peu d’accessoires, une robe d’avocate, une chaise, un livre, un foulard, des paysages suggérés par des dessins projetés en fond de scène, Léna Paugam, la metteuse en scène, a choisi l’épure pour mettre en valeur un texte qui se suffit à lui-même.
C’est à un spectacle indispensable que nous assistons là : une parole juste, pesée, parfois drôle y est dispensée. Il nous fait toucher du doigt l’immense chemin déjà parcouru entre cette société quasi primitive où un homme violeur pouvait, avec le droit à ses côtés, dénoncer sa victime parce qu’elle avait eu recours à une IVG salvatrice, et le 21ème siècle : c’était pourtant en 1974, presque hier. Au-delà de ce spectacle indispensable, on peut suggérer la lecture de l’ouvrage à l’origine de cette adaptation : il est signé d’Annick Cojean, journaliste au Monde. Un moyen d’ancrer un peu plus en soi les mots de celle qui estimait : « on ne nait pas féministe, on le devient »

Eric Dotter



 
 
 
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