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Fin de partie (jusqu’au 5 mars)

le  26/01/2023   au théâtre de l’Atelier 1 place Charles Dullin 75018 Paris (du mardi au samedi 19h et dimanches à 15h)

Mise en scène de Jacques Osinski avec Denis Lavant, Frédéric Leidgens, Claudine Delvaux et Peter Bonke écrit par Beckett




Un décor nu, trois murs, deux hautes fenêtres et deux silhouettes presque statufiées qui s’animent bientôt, lentement, très lentement. Mais qui sont-ils ces deux étranges personnages sur scène ? Qui est cet homme, à l’allure déplumée de vieil oiseau fatigué, qui se déplace avec rapidité mais de manière erratique en ritualisant quasiment chacun de ses gestes ? Et cet autre, vissé à son fauteuil roulant, coiffé d’un bonnet, les yeux apparemment éteints cachés derrière des lunettes noires ? Quelles sont les relations entre eux ? Parents, maitre et serviteur ? On a du mal à le savoir.
Clov accourt au moindre coup de sifflet de Hamm qui dépend de son aide. Clov parle de partir, et Hamm ne peut que rester, cloué qu’il est par son infirmité. Même si le ton est sec et dénué d’affect entre les deux hommes, il n’y a ni animosité ni apparente relation hiérarchique dans leur dialogue, qui prend souvent la forme d’un monologue. Hamm parle sans bouger et Clov bouge sans cesse sans beaucoup parler. L’esprit rationnel cherche à comprendre mais rapidement, il y renonce : Beckett a gagné et a attiré le spectateur dans les filets de son « théâtre de l’absurde».
L’étrangeté s’accentue encore lorsque surgissent deux autres personnages, un homme et une femme, dont la tête et les bras émergent de deux poubelles. D’eux, on ne saura pas grand-chose non plus. En l’absence de sens apparent et de déroulement d’une quelconque action, l’esprit divague et se focalise sur la musique des mots, jusqu’à l’hypnose. Parfois une sentence philosophique émerge des bouches de ce duo de clowns graves et la finitude est évoquée, souvent… sans que l’on sache pour autant si c’est la mort dont on parle.
Car l’écriture de Beckett est comme ça : une phrase lancée sans retomber, une pirouette verbale, les balles sont jetées au spectateur, à lui de jongler ! Jacques Osinski, le metteur en scène, le résume bien dans sa note d’intention évoquant Beckett : « Tant qu’il reste en lui des choses que je ne comprends pas, qui me sont obscures, étrangères, je crois que je peux le mettre en scène ». On le rejoindra sur ce point : de « Fin de partie », on ne comprend pas tout, loin de là. En revanche, on ressent. On ressent la terrible solitude des ces deux hommes.
On touche du doigt le profond pessimisme qui émane de ce texte interprété par les deux clowns de génie que sont Denis Lavant (Clov) et Frédéric Leidgens (Hamm). Et lorsque Clov ouvre l’une des fenêtres en hauteur de ce huis-clos un peu étouffant, on se prend à frissonner. Avant de se rendre compte que ce n’est que l’air du dehors, un dehors qu’aucun des deux hommes n’a apparemment l’intention de rejoindre. Quand le dernier coup de sifflet de Hamm retentit, c’est celui de « la fin de partie » : l’esprit se libère alors, car on ne sort pas indemne de « Fin de Partie ». Cette version-là est servie avec brio par deux formidables comédiens et une mise en scène sobre qui prend son temps et laisse la place aux interstices du texte.

Eric Dotter



 
 
 
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