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Convulsions (jusqu’au 9 février)

le  19/01/2019   au Théâtre Ouvert, 4bis cité Véron 75018 Paris (mardi et mercredi à 19h, jeudi vendredi et samedi à 20h et le lundi 21/01 à 20h)

Mise en scène de Frédéric Fisbach avec Ibrahima Bah, Maxence Bod, Madalina Constantin, Lorry Hardel, Nelson-Rafaell Madel et Marie Payen écrit par Hakim Bah




A tous ceux qui pensaient que la tragédie antique était un genre poussiéreux que l’on réserve à des collégiens et lycéens contraints et forcés, Frédéric Fisbach offre un beau démenti avec « Convulsions », un excellent texte de Hakim Bah, qu’il met en scène au théâtre Ouvert. Dans ce lieu particulier, petit théâtre logé dans une impasse calme et arborée à deux pas du Moulin rouge, une intrigue sanglante va se dérouler.
Tout commence par une scène de vengeance familiale : Atrée et Thyeste torturent et tuent leur frère bâtard pour le priver de sa part d’héritage. La scène est clinique, froide et seuls les mots sont là pour suggérer l’insupportable. Le « chœur » des femmes est à l’avant du plateau et l’on entend seulement l’action se dérouler, les trois protagonistes masculins, bourreaux et victime, étant en coulisses. Le spectateur est immédiatement saisi par l’intense réalité de la scène.
Dès le début, d’abord discrètement puis de manière de plus en plus évidente, Ibrahim Bah, l’auteur, suggère ses sources : il s’inspire de Thyeste, la tragédie de Sénèque. Mais la transposition en langage moderne de la prosodie antique est une véritable claque pour le spectateur ; tout ce que les vers suggéraient, la prose l’affirme désormais, ce qui révèle en creux la violence symbolique inhérente à toute tragédie antique. Le texte est fort, et impose son lyrisme fait de mots qui frappent, qui heurtent mais qui ne caressent que très rarement.
C’est que de la première à la dernière minute, « Convulsions » est une tragédie moderne. On y découvrira qu’Atrée bat Etrope, sa femme et la trompe avec celle du voisin. On y verra aussi Thyeste, amoureux d’Etrope, qui finira par la séduire. La pièce s’achèvera enfin sur une scène de mort et de désolation sur fond de recherche d’ADN. Trahison, mort, rivalités, les mots sont crus mais les sentiments sont nobles et les passions enflammées mènent forcément vers la mort.
Là où le « chœur » antique ne faisait que porter la voix du peuple ou commenter l’action des comédiens, Ibrahim Bah va plus loin et prolonge l’idée : le narrateur ou la narratrice oriente parfois le jeu ou révèle la pensée non formulée du personnage…Le protagoniste dans le jeu devient alors le jouet de ce narrateur-metteur en scène. A tel point que l’acteur portant un personnage peut être subitement remplacé par un autre. Les comédiens portent avec une immense conviction ce texte ancré dans la modernité. On retiendra particulièrement Nelson Rafaell Madel, dont le regard enflammé et la force de jeu emportent tout sur son passage. Mention spéciale aussi pour Marie Payen pour la folie avec laquelle elle joue Etrope et à Lorry Hardel pour sa capacité de caméléon à endosser successivement différents personnages.
Spectacle complet, « Convulsions » offre au spectateur, familier du théâtre, un jeu avec les codes de l’art dramatique en proposant un récit à épisodes en train de se construire sous ses yeux. Au spectateur occasionnel, il propose une intrigue fort bien nouée, un texte puissant, et une palette de comédiens impeccables. Quelque soit le regard, le constat est le même, pour reprendre la note d’intention du metteur en scène : « Nous n’avons pas retenu la leçon depuis Sénèque et nous célébrons jour après jour la victoire du verbe avoir sur le verbe être. Ce faisant, nous nous condamnons à l’anthropophagie et à l’inhumanité ».

E.D



 
 
 
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