On en est là

le  17/10/2019   au Café de la Gare, 41 rue du Temple 75004 Paris (du mardi au samedi à 21h)

Mise en scène de Odile Huleux avec Morgane Bontemps, Florence Savignat, Benjamin Alazraki et Jérémy Manesse écrit par Jérémy Manesse



Le théâtre contemporain explore régulièrement de nouvelles formes de cet art vieux de plus de 2500 ans, et c’est tant mieux ! Ainsi, ce que propose « on en est là », ça n’est rien de moins qu’un spectacle de politique fiction avec les moyens techniques afférents - projection, vidéo, interactions avec les téléphones portables restés allumés (si, si c’est possible, quoique pas indispensable), costumes futuristes des acteurs. Tout concourt donc à la plongée dans le futur du spectateur du Café de la Gare.
Le propos est simple : la pièce nous propose de nous immerger dans le débat télévisé d’entre deux tours de la présidentielle de l’année 2027, pas si loin de nous donc mais suffisamment pour que les préoccupations environnementales soient devenues des actualités quotidiennes, pour que la durée du travail en Allemagne soit passée à 60h hebdomadaires, pour que le chômage ait baissé, sans que la pauvreté ne diminue pour autant.
Mais après une introduction vidéo, destinée à introduire le spectateur dans ce futur morose, arrivent bientôt les deux animateurs TV de ce débat décisif : Lisa Malarmé, grande blonde sûre d’elle et Didier Palavas, faire-valoir plus effacé, retranché derrière sa consœur. Sur leur plateau ce soir, deux candidats : Christophe Brillant, sanglé dans son costume trois pièces post-restauration qui incarne la droite conservatrice. Il est opposé à Carole Marteau, sorte d’Arlette Laguillier post-moderne, cheveux tirés sur un visage tranchant, yeux acérés. Candidats venus de nulle part, dans un monde politique où Marine Le Pen a été assassinée, ils se retrouvent face à face sans y être bien préparés.
Mais la langue de bois a visiblement encore de beaux jours en 2027 : il y a d’un côté le discours sec et tranché du candidat d’une droite décomplexée (« je ne crois pas que tout aille mal », dit-il, ainsi-moi, je vais très bien » et de l’autre, l’appel constant de la candidate de « gauche » à la « consultation citoyenne ». Et cette dernière de préciser dans un élan de lucidité « j’ai choisi de ne rien dire pour permettre à chacun de se reconnaître et de s’identifier à moi ». Mais, soudain, à la faveur d’un coup de théâtre que l’on ne révélera pas, le débat change de nature et la vérité ou plutôt les vérités éclatent au grand jour et devant les caméras.
Le jeu des quatre comédiens, animateurs TV et politiques est impeccable : le décor est réaliste et les moyens techniques (éclairage et sonorisation) contribuent à l’immersion du spectateur dans le débat. Alors, qu’est ce qui fait que l’on a du mal à adhérer au spectacle ? Peut être est-ce du au fait que l’auteur, Jérémy Manesse, fils des deux créateurs du lieu, auteur du spectacle et comédien, tente ici de réaliser une synthèse entre sa volonté de faire rire et celle de dire des choses sur le monde que nous nous préparons à avoir et notamment l’importance des médias.
Il manque hélas à son texte ce petit pas de côté qui nous permettrait de rire aux dépens de ces pantins médiatiques que le spectacle nous montre. La tentative est néanmoins ambitieuse et ne peut qu’être louée ici....

E.D