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Le journal d’une femme de chambre

le  11/11/2022   au théâtre de La Huchette, 23 rue de la Huchette 75005 Paris (du mardi au samedi à 21h)

Mise en scène de Nicolas Briançon avec Lisa Martino écrit par Octave Mirbeau




Célestine en a vu passer des patronnes et des patrons : 12 en 2 ans ! Et parfois des gratinés, à l’exemple de ce vieux monsieur, fétichiste de la bottine jaune, qu’elle retrouvera un jour raide-mort dans son lit, l’objet du délit fermement enserré entre ses dents. Mais Célestine a décidé de se stabiliser, même si venue de Paris, elle se pince un peu le nez en arrivant chez « les bouseux » en Normandie. Qu’à cela ne tienne, chez les Lanlaire, être femme de chambre, ça a l’air d’être une bonne place : certes, madame est un peu rigide et obsédée par l’argent - « il faudra faire attention ma fille, c’est très rare et c’est très cher » - mais monsieur, elle en fait ce qu’elle en veut : il a un petit faible pour elle. Célestine en abusera donc !
« Est-ce que vous vous habituez, Célestine ? », lui demande-t-il ainsi pour la nième fois : « Je m’habituerai, monsieur, avec votre aide. D’un simple regard, je le faisais passer de la colère à l’attendrissement », dit-elle ainsi. Du côté du personnel de maison, c’est plus difficile : il y a Marianne, la cuisinière sans cesse contrariée et puis, il y a ce taiseux de Joseph, le cocher. Mais habile comme tout, Célestine fera son trou. Elle s’accommodera de la vie chez les Lanlaire et Joseph deviendra son compère, voire son complice…On n’en dira pas plus à ceux qui ne connaissent pas le récit d’Octave Mirbeau, car il y a un petit suspens.
Paru en 1900, sous la plume du journaliste/pamphlétiste/romancier Octave Mirbeau, le récit fait figure de roman social : pensez donc, on y donne la parole à une domestique, qui par essence se doit d’être invisible ! D’ailleurs, côté revendications, Célestine n’est pas en reste : « la solitude, ce n’est pas de vivre seul, c’est de vivre chez les autres, qui vous ignorent », dit-elle ainsi. Pire, les propos de Madame Lanlaire à son mari, pour qui les relations conjugales avec son épouse ne sont plus qu’un lointain souvenir : « Tu peux coucher avec cette Célestine, tout ce que je ne veux pas, c’est que ça me coute de l’argent ».
Voilà qui est clair sur les statuts de la domestique, et la rage de Mirbeau vis-à-vis des puissants. Même si Célestine en a vu d’autres, battue comme plâtre par une mère, veuve inconsolable, alcoolique par désespoir et prostituée par nécessité, elle revendique le droit d’être heureuse. Face au mépris de la bourgeoisie vis-à-vis de sa domesticité, il y la finesse d’analyse de celle qui n’a pas le droit à la parole mais garde ses sens acérés, scrutant en permanence ces « honnêtes gens » qu’elle trouve pire que des canailles.
C’est Lisa Martino qui porte le personnage de Célestine. L’œil aiguisé et les charmes en éveil, elle incarne à merveille le rôle de femme de chambre gouailleuse qui assume son douloureux passé. Car parfois déchirant, le récit tel qu’il est adapté ici, est un brûlot revigorant et souvent drôle, qui renvoie dos à dos maitres et domestiques dans « leur perversion et leur laideur », pour reprendre les termes de Nicolas Briançon, le metteur en scène. Changeant de registre au gré de l’incarnation des personnages, elle réussit à maintenir le cap et à faire exister le personnage de Célestine tout au long du spectacle. Malgré ses petits défauts, notamment sa difficulté à trouver une vraie fin, « Le journal d’une femme de chambre » est donc un spectacle absolument réjouissant, porté par la pétulance d’une excellente comédienne.

Eric Dotter



 
 
 
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