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Bunker

le  01/02/2024   au théâtre Tristan Bernard, 64 rue du Rocher 75008 Paris (jeudi à 21h)

Mise en scène de Johanna Boyé avec Julie Depardieu et Stéphan Druet Toukaïeff écrit par Christian Siméon




« Magda Goebbels, née Ritschel puis Friedlander, puis épouse Quandt, puis épouse Goebbels a été profondément désirée et un objet de fascination pour les hommes de pouvoir ». C’est ainsi que l’auteur présente la principale protagoniste de « Bunker » dans la note d’intention de ce spectacle présenté au théâtre Tristan Bernard. C’est sous une forme épistolaire que le spectacle se déroule : deux pupitres sont disposés sur scène derrière lesquels les deux comédiens lisent et parfois interprètent les lettres.
Il y a d’un côté Magda, alias Julie Depardieu, et de l’autre, les figures changeantes des correspondants de celle qui se voulait le symbole de la femme allemande du 3 ème Reich. Se succèdent ainsi, entre autres, Viktor Arlozorov, son amant juif et, bien sûr Joseph Goebbels, son mari, qu’elle épousa en troisièmes noces et avec qui elle eut 5 enfants. Tous sont interprétés par un seul et même comédien : Stefan Druet-Toukaïeff.
Magda Goebbels ayant eu un amant juif ? C’est peu crédible concernant cette femme qui admira tant Hitler. Mais Christian Siméon a ici choisi la liberté donnée par la fiction pour composer à Magda une personnalité qu’elle n’avait pas eu l’occasion d’exposer dans sa maigre correspondance. Elle évolue ainsi au fur et à mesure d’un sinistre compte-à-rebours annonçant la date de l’invasion du bunker d’Hitler par les troupes russes.
D’abord ouverte, libre, généreuse, amoureuse d’un juif sioniste à la sortie du premier conflit mondial, on voit Magda s’embrigader- par ennui dit-elle - au NDSAP (le parti national socialiste), et s’avouer fascinée par ce petit tribun « parlant bas, mais dont la voix devient tonnerre », Hitler. Ponctué par le funeste décompte des jours avant la chute, le récit montre bientôt au spectateur une Magda instrumentalisée, dont le ventre est dédié au futur de l’Allemagne et dont les enfants sont des sujets à part entière de la propagande nazie (rappelons que Joseph Goebbels en était le ministre). Lorsque le danger se rapproche pour l’état-major du 3ème Reich, un seul choix s’offre aux époux Goebbels : « accompagner le Führer jusqu’au bout ». Une fin en forme de tragédie grecque.
Hélas, lorsqu’elle survient, l’attention du spectateur a décroché depuis longtemps. En cause ici, le choix artistique de faire un spectacle sous forme de lecture : debout devant un pupitre ou assis au bureau, les deux interprètes sont en permanence avec un texte à la main. Ce qui pouvait s’accepter au début du spectacle devient insupportable lorsque les derniers jours arrivent et que la tension dramatique augmente. Le texte en main gêne le jeu, et surtout la gestuelle d’une Magda-Julie Depardieu au comble de sa douleur de mère et d’épouse. Autre choix malheureux : celui de la voix qui fait parfois office de partenaire à Magda lorsque la destinataire d’une de ses missives est une femme. Trop intrusive, elle vient ici casser l’atmosphère qui aurait dû baigner ce récit. Pas de parti pris franc ici ; lecture sèche, jeu, dialogues entre deux personnages, la forme est floue et ne convainc pas. Malgré quelque trop bref instant d’émotion, « Bunker » ne parvient pas à extraire le spectateur de l’ennui dans lequel il n’aurait jamais dû être plongé. Et on en veut un peu aux artisans de ce projet d’avoir maltraité un thème aussi propice à la tragédie.

Eric Dotter



 
 
 
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