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Darius (jusqu’au 28 avril)

le  09/04/2024   au Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris (du mardi au samedi à 21h et dimanche à 17h30)

Mise en scène de André Nerman avec Catherine Aymerie et François Cognard écrit par Jean-Benoît Patricot




Le pouvoir évocateur des senteurs, la puissance mémorielle d’un parfum… C’est ce que Claire recherche en contactant Paul, un grand parfumeur dont la fragrance « Singapour Na » l’accompagne depuis toujours. Mais ça n’est pas pour elle que Claire contacte ce fameux « nez », mais pour son fils, Darius, qui donne son nom à la pièce. Darius a 19 ans et parmi les cinq sens, une terrible maladie dégénérative ne lui en a laissés que deux : le toucher, et surtout l’odorat.
D’où l’idée un peu folle de cette mère si aimante, mais si terriblement lucide devant la mort annoncée de son fils : faire reconstituer par un parfumeur des senteurs rappelant tous les moments agréables vécus par Darius et tous les lieux marquants qu’il a visités. Claire croit dur comme fer au pouvoir évocateur des odeurs « Ferme les yeux, respire, c’est mieux que les photos pour se souvenir » dit-elle ainsi. Le « nez » va ainsi reprendre son orgue à parfums et tenter de recréer les atmosphères des lieux que lui indiquera sa correspondante, qui le rémunèrera pour sa tache. Correspondant par lettres, par mails et par colis, contenant les fameux « jus », Claire et Paul se rencontreront à peine.
« Darius » est donc une pièce basée sur une correspondance, chacun, Claire et Paul restant dans son espace respectif, s’adressant à l’autre par écrit. Mais malgré sa forme simple, « Darius » emporte et bouleverse le spectateur. L’écriture est pure et sans artifice, les choses y sont dites, avec le brio d’une langue précise et sensible. Jean-Benoît Patricot, l’auteur, ne cherche pas à écrire joli, il écrit de manière efficace et son récit est loin d’être statique malgré la forme épistolaire choisie. Il déroule ainsi une action véritable dont l’humour n’est pas absent. Car c’est le mérite essentiel de cette pièce : parler d’un enfant handicapé sans aucun pathos.
Les émotions naissent ailleurs, d’un miracle, celui du jeu des deux comédiens magnifiquement mis en scène par André Nerman. A l’économie de mots, le metteur en scène a ainsi choisi de faire correspondre une économie de moyens, faisant confiance à ses acteurs pour porter l’histoire. Il y a Paul, le parfumeur, joué par François Cognard. L’œil bleu acier, il porte la rigueur du chercheur mais lâche peu à peu le récit de ses fêlures. Un peu de pudeur, et un soupçon de rigidité, c’est un homme qui reprend vie pour en accompagner une autre. Et surtout, il y a Claire, magnifiquement interprétée par Catherine Aymerie. C’est elle qui porte la quintessence de l’émotion. Femme héroïque, mère sacrificielle, elle assume son rôle auprès de son fils avec sourire et, parfois, un soupçon d’ironie exempte de cynisme.
Catherine Aymerie maitrise parfaitement son art, chacun des mots de ce superbe texte est pesé par la comédienne et chargé de l’émotion adéquate, avec juste ce qu’il faut d’intensité. Ce n’est plus une comédienne incarnant un personnage que nous avons devant nous, mais une femme faisant exister un texte comme créé devant nous. Malgré un thème lourd, celui du lourd handicap d’un très, d’un trop jeune homme, on défie ici quiconque de ne pas être emporté par l’émotion de « Darius ». Loin d’être un tire-larme, qui obligerait le spectateur à une émotion sur commande, « Darius » l’invite avec douceur à humer le parfum du talent pur. Et croyez-moi, ça sent bon !!

Eric Dotter



 
 
 
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