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Corde. raide (jusqu’au 5 mai puis du 14 au 17 mai au TnBA)

le  19/04/2024   au théâtre de La Tempête – La Cartoucherie, route du Champs de Manœuvre 75012 Paris (du mardi au samedi à 20h30 et dimanche à 16h30 - relâche le 1er/05 – puis du 14 au 17/05 au Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine)

Mise en scène de Cédric Gourmelon avec Laetitia Lalle Bi Benie, Frédérique Loliée et Quentin Raymond écrit par Debbie Tucker Green




Une salle blanche anonyme quasi clinique, éclairée au néon. Un duo y rentre : un homme, une femme. Ils travaillent ici. Une autre femme les suit, elle tremble de manière incessante. On croit comprendre qu’il va s’agir d’un interrogatoire. Interrogée voire brusquée cette femme ? Non, au contraire, on l’entoure de sollicitudes, on est aux petits soins pour elle. Veut-elle un thé ? De l’eau ? Veut-elle se débarrasser de son manteau ? A cette belle amabilité, que l’on sent forcée, elle répond de manière tranchée : non, elle ne veut pas boire, non, elle ne veut pas de cette bienveillance dont on l’entoure.
Et c’est ainsi, tout au long de cette pièce tendue comme un fil « raide » comme cette corde qui lui donne son titre. La femme, noire - parce que l’auteur l’a voulu ainsi - oppose sa réalité tranchée, sa réalité de femme qui souffre (on finira par se douter de la nature de sa souffrance), à la fiction de leur langage stéréotypée, à eux, cette femme et cet homme, ces deux blancs qui pourraient être policiers, recruteurs ou cadres moyens mais qui ne sont que des avatars d’un polissage extrême du langage. Et peu à peu, la violence réelle du vécu de la femme vient se confronter à celle du langage codifié de ces deux robots humains. Chaque phrase vient ainsi alimenter et incrémenter la colère sourde de cette femme que l’auteur a seulement nommé « Trois ».
Les répliques sont courtes, parfois réduites à l’essentiel, les personnages s’interrompent mutuellement, ne vont parfois pas jusqu’au bout de leurs phrases, comme si seul le début donnait le signal du signifiant. Et le dispositif marche terriblement bien : la tension s’installe et le spectateur suit avec passion ce pseudo-dialogue qui vire au triple monologue. La conclusion est tendue à l’extrême et dans les dernières minutes, le fil du rasoir remplace la tension de la corde. Chacun aura sa lecture de ce texte simple mais efficace : déresponsabilisation des employés, hypocrisie, règne de la communication, traitement différencié et vide de sens de minorités dites visibles, toutes les interprétations sont possibles.
Entre le décor impressionnant à la froideur chirurgicale, le jeu des comédiens dont le corps et les postures sont tout en tension, et ce texte à l’originalité certaine, le spectateur suit le fil haletant de ce moment de malaise communicant et communicatif. Une fois sorti du théâtre de la Tempête, le spectateur retrouve la nuit de la Cartoucherie qui s’oppose à la blancheur aveuglante du décor de la salle de réunion anonyme de « corde. raide ». Des impressions diffuses de la pièce persistent, preuve de la réussite de cette belle mise en scène.

Eric Dotter



 
 
 
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