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Le faiseur de théâtre (jusqu’au 9 mars)

le  14/01/2019   au théâtre Dejazet, 41 boulevard du Temple 75003 Paris (du lundi au samedi à 20h30)

Mise en scène de Christophe Perton avec Eric Caruso, Barbara Creutz, Agathe L’Huillier, André Marcon, Jules Pélissier et Pauline Wicker écrit par Thomas Bernhard




Si vous n’avez jamais rien vu ou lu de Thomas Bernhardt, décider d’aller voir « le Faiseur de Théâtre » au Dejazet est une bonne initiation ! Lorsque l’on pénètre dans la salle, la scène est comme un miroir, prolongeant sur l’espace de jeu la distance normalement dévolue au spectateur. C’est qu’il est question de théâtre dans le théâtre, et pas de n’importe quel spectacle : le grand comédien Bruscon doit jouer ce soir à Utzbach, petite ville de 280 âmes. Il y débarque avec sa troupe : sa femme souffreteuse affectée d’une toux incessante, son fils qui selon lui ne comprend rien à l’art de la scène, et sa fille qu’il trouve bête.
Pendant une heure cinquante, Bruscon, interprété avec brio par André Marcon, va dérouler une vindicte quasi ininterrompue. Tel un inventaire, tout y passe : le théâtre, poussiéreux et humide, la ville dans laquelle ils doivent jouer qui sent « le cochon » - ainsi s’adressant à l’hôtelier, « La femme attire l’homme de la région la plus belle au trou le plus infâme ». C’est en effet un trait du caractère de Bruscon : son mépris pour les femmes - « Faire du théâtre avec des femmes est une catastrophe lance-t-il ainsi » ; « bientôt viendra le dépôt de bilan féminin », ajoute-t-il encore.
Le comédien, que l’on devine raté, a certes du mépris pour la gente féminine mais aussi pour sa propre femme, un mépris teinté de haine de classe lorsqu’il dit à son endroit : « dans chaque phrase qu’elle dit, on remarque que son père était maçon ». Haine de classe qu’il martèle encore en parlant de « mégalomanie prolétarienne ». « Horreur », « abomination », « manque de goût » ne sont que quelques-unes des perles qu’il enfile sur le chapelet de son indignation.
Les personnages qui entourent Bruscon ne sont que de frêles silhouettes destinées à rendre l’outrance encore plus criante et à souligner le tyran conjugal et paternel : ainsi, lorsque tordant le bras de sa fille, Bruscon l’oblige à lui faire dire qu’il est « le plus grand comédien de tous les temps ». Femme et enfants semblent désabusés et la vindicte semble glisser sur eux avec indifférence, même lorsque le comédien glisse à son fils, sur le ton de la complicité père/fils : « tu es ma plus grande déception ». Christophe Perton a pris le parti de rendre pathétique le mégalomane vindicatif qu’est Bruscon.
Le fait que les personnages secondaires, souvent muets chez Bernhardt, s’expriment, parfois en mots mais plus souvent dans leur gestuelle, accentue le côté excessif et donc comique de ce « Faiseur de Théâtre » et rend plus digeste pour le spectateur ce qui n’aurait sinon été qu’un long monologue. Quitte à flirter avec une modernité de façade pas toujours appropriée et un peu vaine (le fils est un rappeur-danseur tatoué, la musique rock fait quelques apparitions furtives), le metteur en scène facilite les clés de lecture de cette pièce de Thomas Bernhard, et rend moins sombre ce « faiseur de théâtre » pourtant écrit peu après la mort d’Hedwig Stavanieck, que Bernhard avait rencontré au sanatorium et qu’il qualifiait d’« amie vitale ».

E.D



 
 
 
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