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Trissotin ou les femmes savantes (jusqu’au 10 mai)

le  16/04/2019   au Scala Paris, 13, boulevard de Strasbourg 75010 Paris (du mardi au samedi à 21h et dimanche à 15h)

Mise en scène de Macha Makeieff avec Vincent Winterhalter, Marie-Armelle Deguy, Arthur Igual & Philippe Fenwick (en alternance), Caroline Espargilière, Vanessa Fonte, Geoffroy Rondeau, Jeanne-Marie Levy & Anna Steiger (en alternance) écrit par Molière




On reconnait les grands textes à ce que, même secoués par des mises en scène iconoclastes souvent très loin de la facture classique et des perruques poudrées, ils gardent leur puissance et leur actualité. Il en est ainsi de « Trissotin ou les femmes savantes » de Molière, mis en scène actuellement par Macha Makeïff à la Scala. On connait le goût de cette dernière pour les costumes chatoyants et les couleurs vives. Elle s’en donne ici à cœur joie en situant l’action en pleines années 70, trois cents ans après sa création. Velours, couleurs pétardes et coupes improbables attestent ici de l’époque. Enfin, après l’entrée joyeuse de jeunes gens revenant de fête, émerge le texte en vers, une langue belle et élégante.
Ce sont Armande et Henriette qui dialoguent ou plutôt argumentent. Armande reproche à sa sœur son choix de se marier avec Clitandre, un bel homme sans qualités particulières : « Mon Dieu, que votre esprit est d'un étage bas ! Que vous jouez au monde un petit personnage, de vous claquemurer aux choses du ménage, et de n'entrevoir point de plaisirs plus touchants, qu'un idole d'époux, et des marmots d'enfants! ». C’est que Philaminte leur mère, qui règne en maitresse dans le foyer, terrorisant Chrysale, son bourgeois d’époux, les ayant habitué à l’intellect et à la boite à mots plus qu’au point mousse et à la boite à couture, et les destinant à l’intellect plus qu’au mariage, enfin, du moins, pas à ce mariage-là. Mais Armande s’offusque-t-elle ou est-elle jalouse ? Le doute surgit dans l’esprit du spectateur…
L’arrivée de ladite Philaminte réjouit le spectateur. Véritable bombe virevoltante tout de velours vêtue, elle gère sa maison comme un salon mondain ou un cabinet de curiosités, faisant réagir diverses substances chimiques dans son laboratoire mais réservant les explosions, celles de son caractère bien trempé, à son mari. C’est Marie Armelle Deguy qui est à la manœuvre, excellente en bourgeoise choucroutée dont l’allure contraste avec le comportement volcanique. Autre arrivée quasi castafioresque, celle de Bélise, sœur du mari qui arrive en chantant un air d’opéra. C’est Jeanne-Marie Lévy (à qui devrait succéder Anna Steiger) qui l’interprète avec ce qu’il faut de folie et d’autodérision, campant une ronde nymphomane qui, bien, que versée dans les belles lettres, n’en pince pas moins pour le beau Clitandre.
Mais voilà, qu’il arrive, qu’il débarque, qu’il surgit, celui qui donne son titre à la pièce, Trissotin. Cheveux longs, chemise ouverte sur un poitrail velu, chaussures de cour à talons, ensemble velours, celui que la maitresse des lieux vénère daigne faire son apparition et régaler l’assistance de ses brillantes saillies. Geoffroy Rondeau, lui donne l’allure d’un gourou aux yeux magnétiques. Affecté et boursouflé de sa suffisance, il offre ainsi une sorte de réplique laïque et littéraire d’un Tartuffe dont Molière avait inauguré les représentations 8 ans auparavant. Promis à Henriette, qui n’en veut pas, soutenu bec et ongles par l’autoritaire Philaminte, le pseudo génie de la plume perdra de sa superbe lorsqu’éclatera l’imposture qui le démasquera comme un véritable escroc…
Loin d’éloigner l’attention du spectateur d’un texte superbe, la mise en scène fort joyeuse de Makeïeff et le jeu des acteurs (tous excellents) révèlent au contraire l’essence du texte, le texte d’un Molière qui vivait sa dernière année, insolent pour les rats de cour, les cyniques et les imposteurs, un texte qui fait la part belle au pouvoir des femmes (même dans leurs excès) et ridiculise les hommes. Un texte enfin qui, même dans les outrances pseudo poétiques de Trissotin, révèle une langue belle et déliée. C’est donc à un moment d’exception que l’on assiste ici, un moment de bonheur où le sourire, Ô miracle vient des alexandrins et de l’usage du subjonctif parfait.
Forme loin d’être désuète, propos totalement actuels, ce « Trissotin ou les femmes savantes » parle à tous et le succès, qu’a déjà recueilli ce spectacle créé en 2015, promet de ne pas se démentir. Les applaudissements de tous ceux qui étaient ce soir-là dans la salle (dont une vingtaine de jeune ados) ne disaient vraiment pas le contraire.

E.D



 
 
 
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