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Un vivant qui passe

le  15/09/2021   au théâtre de l’Atelier, 1 place Charles Dullin 75018 Paris (du mardi au samedi à 19h et dimanche à 11h)

Mise en scène de Sami Frey avec Sami Frey écrit par Claude Lanzmann




Un homme seul sur scène peut-il instaurer un dialogue ? C’est la première question que le spectateur se pose au lever de rideau (de fer) d’un « vivant qui passe ». Après quelques minutes de relatif flottement (nous étions présents à la deuxième représentation), force est de constater que ça marche : la magie instaurée par Sami Frey fonctionne à nouveau : de sa voix assurée mais douce, ferme mais empathique, il dessine le dialogue et en instaure la dynamique, à toutes petites touches, sans renfort d’effets de jeu.
Tels que les esquisse Sami Frey, on les aperçoit presque les deux protagonistes de ce récit. Il y a d’un côté Claude Lanzmann, infatigable questionneur de la période la plus sombre de notre histoire, le cinéaste dont l’œuvre phare « Shoah » constitue un monument cinématographique et historique sur les atrocités commises par le régime du troisième Reich. De l’autre côté, on voit Maurice Rossel, citoyen helvète presque ordinaire- benêt dira-t-il- discret, prudent presque effacé, si ce n’était son rôle de délégué à Berlin du comité international de la Croix rouge dans les années quarante.
C’est là la force de ce qui est tout simplement la transcription littérale d’un entretien datant de 1979 entre Lanzmann le cinéaste faisant œuvre d’historien, et Rossel, visiteur du camp de concentration d’Auschwitz en 1943 et de Theresienstadt en 1944. Celui qui interroge veut savoir, mais l’observateur privilégié et protégé par son statut diplomatique n’a rien vu. Alors que la première visite (non officielle) de Rossel à Auschwitz prend l’allure d’une aimable discussion avec le commandant du camp dans son bureau autour d’une tasse de café, la deuxième, organisée par les autorités allemandes sous la pression des alliés est une véritable mascarade.
Theresienstadt a été transformé en « camp idéal » par le pouvoir nazi, triste théâtre dont les marionnettes jouent le jeu espérant être épargnées alors que leur funeste sort n’est que retardé. Rossel est le « vivant qui passe » parmi ces cadavres en puissance. L’impuissance de l’observateur du CICR est cruelle : placé au centre de la machine à détruire l’humanité, Rossel ne voit rien, ne remarque rien. La dialectique diplomatique et teintée de pseudo-neutralité de Rossel rend d’autant plus violent le constat. Et le spectateur sort du spectacle un peu groggy : la douce voix de Samy Frey a instillé en lui une sourde colère : celle de l’impuissance face à l’horreur.

E.D



 
 
 
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